Actes n°5 / Doctorales 58 : La relationalité à l'aune de la vulnérabilité

Reconnaissance, domination et mobilisation collective chez Hegel

Jean-Baptiste Vuillerod
Reconnaissance, domination et mobilisation collective chez Hegel

Résumé

Le texte interroge ce que l’attention à la vulnérabilité des corps et à l’expérience négative des subjectivités change dans notre manière d’aborder la théorie hégélienne de la reconnaissance. Il propose d’abord un commentaire de la fameuse dialectique de la domination et de la servitude dans la Phénoménologie de l’esprit qui fait droit à une telle expérience, puis montre qu’elle trouve son prolongement au chapitre VI, A du même ouvrage, lorsque Hegel s’intéresse à la cité grecque et à la révolte d’Antigone et des femmes grecques contre l’ordre phallocratique qui les opprime. Faisant fond sur les lectures féministes de Hegel, l’étude propose ainsi de penser de manière articulée la reconnaissance, la domination et la mobilisation collective.

Mots-clés : Hegel, Antigone, reconnaissance, domination, féminisme

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Reconnaissance, domination et mobilisation collective chez Hegel

Jean-Baptiste Vuillerod*

 

Il s’agit ici de prendre appui sur la Phénoménologie de l’esprit de Hegel pour penser trois modalités de la relation intersubjective et les articuler à partir d’une prise en compte de la vulnérabilité et de la souffrance des individus. La reconnaissance, la domination et la mobilisation collective constituent en effet trois relations qui se rapportent l’une à l’autre de la manière suivante : la reconnaissance offre un idéal de relation intersubjective qui n’a pas besoin, pour être formulé, de recourir à la vulnérabilité des corps souffrants puisqu’elle constitue un pur devoir-être, une pure normativité ; malheureusement, la pure reconnaissance est souvent, sinon toujours, démentie dans l’expérience et laisse la place à une lutte des consciences qui aboutit à une relation de domination ; à son tour, quand la domination est l’objet d’une expérience négative qui repose sur la souffrance d’une existence vulnérable, elle est susceptible de faire se révolter les individus contre l’injustice sociale et de produire des mobilisations collectives dont l’objectif est de transformer la société qui a causé cette souffrance.

L’enjeu plus spécifique est pour nous de proposer une lecture de la conception hégélienne de la reconnaissance qui échappe à certains préjugés métaphysiques encore attachés aux théories de la reconnaissance, et notamment à son interprétation honnethienne, alors même que cette dernière a beaucoup compté pour proposer une actualisation non métaphysique de Hegel[1] : un préjugé concernant le sujet, auquel on attribue le plus souvent une anthropologie susceptible de fonder universellement les normes de la reconnaissance ; un préjugé concernant l’histoire, la modernité se voyant créditée de la découverte et de la formulation de ces normes universelles, de sorte qu’il n’y aurait plus qu’à réaliser ses promesses ; un préjugé concernant la raison, le principe d’identité amenant à un primat de la pacification sociale plutôt qu’à une prise en compte de la dimension irréductiblement conflictuelle de la société. Ainsi, chez Axel Honneth, on trouve la reconnaissance enracinée dans une anthropologie normative[2], au sens où La lutte pour la reconnaissance se propose de définir les normes universelles de la vie bonne. Dans Le droit de la liberté, il assume une « téléologie de l’histoire[3] » qui repose à ses yeux sur les acquis incommensurables et irrécusables de la modernité. Et s’il est vrai que la première partie de son œuvre, celle marquée par La lutte pour la reconnaissance, laisse une grande place au conflit comme révélateur du déni de reconnaissance, ses derniers écrits, et notamment Le droit de la liberté, s’orientent vers une théorie positive de la justice qui relègue la conflictualité à l’arrière-plan et qui préfère reconstruire les normes et les valeurs que les individus modernes partagent par-delà les dissensus[4]. C’est en ce sens que, selon nous, l’apport indéniable de Honneth à une lecture non métaphysique de Hegel retombe, sous certains aspects, dans des préjugés métaphysiques persistants. Nous voudrions ici proposer une conception alternative de la reconnaissance, qui reprenne l’ambition honnethienne tout en cherchant à la mener à son terme. On verra en outre que cet enjeu n’est pas sans lien avec le débat féministe puisque le modèle que nous proposons prend appui sur les relectures féministes du chapitre de la Phénoménologie de l’esprit consacré à Antigone[5].

Les trois relations intersubjectives précédemment décrites constituent les trois moments de notre exposé et seront développées à partir d’une analyse des chapitres IV, A et VI, A de la Phénoménologie de l’esprit

 

1. Le pur concept de la reconnaissance

Le fameux chapitre IV, A de la Phénoménologie de l’esprit, celui de la dialectique de la domination et de la servitude, s’ouvre sur ce que Hegel appelle le « pur concept de la reconnaissance[6] ». Il y présente de manière purement normative la nécessité pour la conscience de se voir reconnaître par autrui pour entretenir avec elle-même ce qu’on pourrait nommer, dans les termes d’Axel Honneth, une « relation positive à soi-même[7] ». Cette perspective normative repose sur une forme de devoir-être ou d’idéal, elle indique ce que devrait être, en droit, la reconnaissance et comment elle devrait avoir lieu. Hegel montre que le seul moyen, pour la conscience, de vérifier l’idée qu’elle a de sa propre valeur est d’en passer par la médiation d’autrui. Ce dernier, en renvoyant à la conscience l’image qu’elle se fait d’elle-même, transforme la simple conviction personnelle, la certitude subjective, en vérité objective. C’est pourquoi la reconnaissance est essentielle à la conscience : « La conscience de soi est en et pour soi en tant que et du fait qu’elle est en et pour soi pour une autre conscience de soi, c’est-à-dire qu’elle est seulement en tant qu’un être reconnu[8]. »

Hegel décrit la constitution intersubjective de la conscience de la manière suivante. Dans un premier moment, la conscience se perd en autrui parce que celui-ci est un autre soi-même, il est sa propre image dans le miroir. Pour être véritablement reconnue, la conscience doit cependant arrêter de ne retrouver qu’elle-même dans l’autre. Elle doit accorder à autrui une conscience autonome susceptible de la reconnaître, sans quoi on ne sortirait pas du rapport solipsiste de la conscience à elle-même et la conscience n’aurait aucune vérification par autrui de la valeur qu’elle se donne à elle-même. Il faut donc, dit Hegel, laisser « à nouveau aller librement l’autre[9] ». Mais un tel geste implique que l’autre conscience fasse de même, puisque elle-même ne peut se constituer en conscience autonome qu’à travers la médiation d’autrui. La reconnaissance exige donc une réciprocité fondamentale : « Chacun est pour l’autre le moyen terme par lequel chacun se médiatise et s’enchaîne avec lui-même, et chacun est pour lui-même et pour l’autre une essence immédiate étant pour soi, qui, en même temps, n’est ainsi pour soi que par cette médiation. Ils se reconnaissent comme se reconnaissant réciproquement[10]. » 

Voici formulée à un niveau normatif et conceptuel la reconnaissance en tant que relation sociale accomplie et satisfaisante. Bien qu’elle prenne ici la forme d’une sociabilité minimale, abstraite et anhistorique, elle trouve un certain nombre de spécifications dans le reste de la philosophie hégélienne, qui nous permettent d’en préciser le contenu. Ainsi, étudiant les écrits de la période d’Iéna antérieurs à la Phénoménologie de l’esprit de 1807[11], Axel Honneth a montré comment la confiance en soi, le respect de soi et l’estime de soi étaient respectivement produits par l’amour, la reconnaissance juridique et la solidarité sociale[12]. Et se tournant vers les Principes de la philosophie du droit de 1821, Honneth a également insisté sur l’importance que Hegel accordait aux structures institutionnelles qui rendent possible ces relations de reconnaissance accomplies dans les sociétés modernes[13]. Tout l’enjeu, pour lui, est de mettre en évidence la manière dont la reconnaissance hégélienne permet de formuler positivement, d’un point de vue normatif et moral, le type de relations sociales qu’il faut entretenir pour que chaque individu puisse développer une « vie réussie[14] ». Ce qui est cependant remarquable dans la manière dont Hegel formule les choses dans la Phénoménologie de l’esprit, c’est que, à la différence de la façon dont procède Axel Honneth dans La lutte pour la reconnaissance[15], cette formulation positive et normative de la reconnaissance n’est pas le terminus ad quem de la théorie hégélienne. Au contraire, il ne constitue qu’un premier moment destiné à être dépassé dans une conception plus concrète de la reconnaissance, qui accorde notamment toute sa place à l’expérience négative du déni de reconnaissance[16]. Autrement dit, chez Hegel, on ne part pas de l’expérience pour aboutir à la formulation normative de la reconnaissance, mais, à l’inverse, on commence avec cette dimension normative pour voir ce qu’elle devient lorsqu’on la confronte à l’expérience.

 

2. Lutte des consciences et domination

Confrontant le « pur concept de reconnaissance » à l’expérience[17], c’est-à-dire en passant du concept de la reconnaissance en tant que moment déterminant d’une « figure de la conscience » à une « expérience de la conscience » en tant que telle, Hegel montre qu’il n’y a aucune raison pour que la reconnaissance parfaite se trouve réalisée immédiatement et spontanément. Ce que l’on trouve, par contre, c’est l’expérience négative du déni de reconnaissance, l’épreuve douloureuse d’autrui nous refusant sa reconnaissance.

Hegel tente de saisir les conséquences de ce déni sous la forme de la lutte à mort des consciences. Cette lutte a pour cause, d’une part, la nécessité qu’il y a pour la conscience de prouver qu’elle mérite la reconnaissance en montrant qu’elle vaut plus que le simple vivant naturel et en mettant pour cela sa vie en jeu[18], et, d’autre part, la volonté de réparer l’affront subi dans l’expérience du mépris, à la manière des duels d’honneur où il ne s’agit pas seulement de prouver à autrui sa valeur mais également de se la prouver à soi-même[19]. Ce qu’il faut bien saisir, c’est que la reconnaissance, dans ce chapitre de la Phénoménologie de l’esprit, n’apparaît pas seulement comme un telos à atteindre, comme une norme à réaliser, mais aussi comme ce qui suscite une expérience négative et constitue le point de départ d’un conflit intersubjectif. Pour thématiser ce pas de côté par rapport à la théorie honnethienne de la reconnaissance, on peut dire, avec Emmanuel Renault, qu’il s’agit d’une lutte de reconnaissance et non d’une lutte pour la reconnaissance[20]. Cette légère modification, qui transforme en réalité de fond en comble la théorie de la reconnaissance, est essentielle pour comprendre la relation de domination comme résultat de la lutte des consciences.

En effet, dans le modèle hégélien, le pur concept de reconnaissance laisse sa place à la lutte à mort des consciences et celle-ci conduit à une relation sociale asymétrique. Les consciences qui luttent comprennent que la mort ne leur apportera pas la reconnaissance attendue[21]. Il leur faut donc abandonner le combat, mais parce que l’une des consciences abandonne avant l’autre, celle qui a abandonné la première se trouve en position d’infériorité et de soumission. Alors se cristallise un rapport social asymétrique qu’il faut nommer domination et qu’il faut penser comme la domination (Herrschaft) d’un maître (Herr) sur un esclave (Knecht, qui renvoie aussi bien à l’esclave antique qu’au serf ou au serviteur)[22]. La domination désigne cette relation sociale asymétrique qui, d’une part, est plus figée que de simples rapports de pouvoir fluctuants, et, d’autre part, est attachée à des statuts sociaux institutionnalisés qui reproduisent et légitiment les statuts de dominants et de dominés.

La force du geste hégélien est de nous amener à considérer que, dans l’expérience, ce ne sont pas des relations idéales de reconnaissance qui se donnent à voir, même en tant que valeurs prétendument partagées par tous, mais des relations de domination bien réelles qui font suite à des rapports de forces – idée à laquelle Marx et Engels seront profondément fidèles lorsqu’ils affirmeront que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes[23] ». C’est en ce sens que la théorie hégélienne de la reconnaissance n’est pas seulement normative, mais également pragmatiste, en tant qu’elle fait droit à l’expérience concrète que font les individus de la domination et de l’injustice. Ces deux perspectives ne sont bien sûr pas antinomiques. On peut tout à fait considérer que des normes de reconnaissance cohabitent avec des expériences négatives. De ce point de vue, les deux approches paraissent complémentaires et Hegel ne semble pas privilégier l’une par rapport à l’autre. Néanmoins, c’est depuis l’interprétation pragmatiste de la reconnaissance qu’il faut réintégrer les exigences normatives, et non l’inverse. En effet, si l’on part des exigences normatives, alors on est inévitablement conduit à penser des normes universelles, que l’on rattache à la nature de l’homme, à leur révélation téléologique dans la modernité et à un horizon pacifié des relations sociales. L’expérience, alors, n’est plus là que pour faire apparaître des normes qui la transcendent, sa fonction est purement de dévoilement. Au contraire, en partant des expériences négatives, on ne présuppose plus aucune exigence normative donnée d’avance, mais l’on se contente d’observer les réactions qui font suite au déni de reconnaissance. On se donne alors les moyens de comprendre non pas le dévoilement de normes transcendantes, mais la formulation et la production de nouvelles normativités dans l’immanence de l’expérience. Tel est l’un des enjeux du chapitre IV, A de la Phénoménologie de l’esprit pour la théorie de la reconnaissance. 

La question qui se pose, à présent, c’est de savoir si Hegel pense, dans la Phénoménologie de l’esprit, un autre type de relation intersubjective à même de dépasser ou du moins de lutter contre la domination. On sait que la fin du chapitre IV, A esquisse une libération de l’esclave par le travail. Le travailleur trouve dans le produit réussi de son travail une satisfaction et obtient de ce fait la vérification de sa propre valeur que le maître lui refuse[24]. Cependant, on peut considérer que la seule satisfaction du travail bien fait chez le travailleur ne suffit pas à remettre en question la domination. Hegel lui-même indique que, dans le travail, la conscience n’a que « l’intuition » de sa libération[25]. Notre hypothèse est que les lectures féministes de Hegel, en attirant l’attention sur l’importance du chapitre VI, A de la Phénoménologie de l’esprit, consacré à la cité grecque et à la révolte d’Antigone, offrent une perspective féconde et différente de celle du travail pour formuler une critique de la domination à partir d’un nouveau type de relation sociale : la mobilisation collective contre l’ordre établi[26].

 

3. L’expérience d’Antigone et la mobilisation collective

Dans le chapitre VI, A, a-b de la Phénoménologie de l’esprit, Hegel décrit la cité grecque à partir d’une opposition entre deux lois fondamentales. Il y a, d’une part, la loi humaine, celle de la vie publique et politique, qui constitue une sphère exclusivement réservée aux hommes. Il y a, d’autre part, la loi divine, celle de la sphère privée familiale et des rites funéraires, exclusivement dédiée aux femmes. Ces deux lois sont complémentaires et forment un cycle apparemment harmonieux. Les femmes offrent à la cité leur progéniture masculine, la cité envoie ensuite les jeunes hommes au combat, et enfin les femmes enterrent les morts qui n’ont pas eu la chance de revenir sains et saufs du champ de bataille[27]. La division fonctionnelle des sexes dans le monde grec semble ainsi au fondement de sa stabilité[28]. Ce que montre Hegel, cependant, c’est que cette harmonie de façade est profondément contradictoire et menace en permanence la stabilité du monde grec.

De fait, la belle harmonie de la cité grecque repose sur l’exclusion des femmes hors de la sphère publique et politique, alors même que les femmes, en tant qu’elles président la sphère privée familiale, sont essentielles au maintien et au bon fonctionnement de la cité. Cette contradiction tourne les femmes contre la loi masculine et fragilise la cité de l’intérieur : « En tant que la communauté ne se donne sa subsistance que par la perturbation de la félicité familiale et la dissolution de la conscience de soi dans l’universel, elle se suscite, en ce qu’elle réprime et qui lui est en même temps essentiel, en la féminité en général, son ennemi intérieur[29]. » En excluant les femmes de la sphère politique tout en leur donnant une importance fondamentale dans l’organisation générale de la cité, les hommes grecs produisent au sein même de leur monde un dissensus qui remet profondément en cause son fonctionnement. C’est pourquoi Hegel parle d’une « éternelle ironie de la communauté[30] » pour définir la féminité – de manière non essentialiste, il faut le remarquer, puisque les femmes ne sont définies que par l’oppression dont elles font l’objet. Il y a une forme d’ironie du sort dans le fait que les hommes grecs se trouvent piégés à leur propre jeu, mais, plus fondamentalement, Hegel utilise ici l’ironie en un sens technique qui, chez lui, signifie une négation sans résultat positif, une destruction sans synthèse ou conciliation[31]. On comprend par là que la révolte des femmes grecques n’a pas tant pour visée la réalisation de normes universelles et réconciliatrices qu’une remise en cause pure et simple du monde tel qu’il est, en accord sur ce point avec l’interprétation pragmatiste de la reconnaissance que nous avons indiquée plus haut.

Deux éléments sont essentiels pour le propos qui nous occupe. D’abord, on peut remarquer que l’analyse que Hegel propose de la cité grecque repose sur une lecture originale de l’Antigone de Sophocle et que cela le pousse à s’attarder sur la vulnérabilité souffrante d’Antigone. Il cite un vers de Sophocle qui souligne la souffrance que ressent Antigone tant semble-t-il en raison de l’oppression qu’elle subit et qui lui interdit d’enterrer son frère, que du fait de l’obligation dans laquelle elle se trouve de commettre un crime et d’éprouver ainsi de la culpabilité : « Souffrant, nous avouons que nous avons failli[32]. » Pour Hegel, Antigone est cerclée par la souffrance en amont et en aval de son acte. C’est la réflexion sur cette souffrance qui l’amène à commettre sciemment le crime qui remet en cause l’ordre de la cité et qui, en retour, lui apporte une nouvelle souffrance[33]. La fille incestueuse d’Œdipe incarne ainsi l’expérience négative d’une existence vulnérable qui, en proie à la domination, se révolte contre l’ordre inique existant et le remet en cause.

Mais il faut bien voir, dans un deuxième temps, que Hegel ne se contente pas de l’expérience individuelle d’Antigone. Il y voit le signe d’une expérience plus générale qui concerne l’ensemble des femmes grecques et ouvre ainsi la voie à une pensée de la révolte sous la forme de la mobilisation collective. C’est la « féminité » (Weiblichkeit) en tant que telle qui se révolte contre l’ordre inique du gouvernement des hommes – non pas seulement la féminité comme principe ou essence de la femme, mais la féminité comme ensemble des épouses, des mères et des filles de la cité grecque, c’est-à-dire la féminité comme collectif de femmes qui se lient entre elles contre les hommes et qui embrigadent à cette fin les jeunes hommes de la cité pour les liguer contre leurs aînés[34]. Concrètement, pour Hegel, cela renvoie au passage du monde grec au monde romain impérial, qu’il interprète de manière historiquement douteuse comme l’arrivée au pouvoir d’un jeune homme détourné de l’universalité harmonieuse de la cité grecque par les femmes. Bien que le remplacement de l’hégémonie hellénistique par Rome puisse difficilement être expliqué, d’un point de vue historique, par la révolte d’un jeune homme qui aurait été détourné par les femmes des idéaux de la cité grecque, le texte de la Phénoménologie de l’esprit met en scène une idée forte : celle d’une communauté de femmes qui se révoltent contre l’ordre masculin dominant et qui, aidées de la jeunesse, constituent une critique sociale virulente contre les structures phallocratiques qui les oppriment. C’est pourquoi on peut sans doute être plus charitable que Judith Butler lorsqu’elle critique Hegel pour être passé de la singularité d’Antigone aux « femmes » en général[35], et considérer qu’il y a là la mise en évidence d’une relation sociale collective qui est nécessaire dans la lutte contre la domination.

D’une certaine manière, Hegel suggère par là que l’expérience négative de la domination de la part d’une existence vulnérable pourrait se prolonger en une organisation sociale et politique, à même de produire une critique de la domination à partir de la mobilisation collective. Il est certes peu disert sur les modalités et les formes de cette collectivité de femmes et reste en réalité flou sur le fait de savoir s’il s’agit d’une collectivité passive (l’ensemble des opprimés) ou d’une collectivité active dotée d’une véritable volonté de s’organiser politiquement. Hegel se contente en effet de passer de la singularité d’Antigone à l’ensemble des femmes de la cité, qui cherchent toutes à corrompre la jeunesse et à renverser l’ordre masculin dominant. Cet angle mort a été investi par de nombreuses lectures féministes qui ont insisté sur l’éternelle ironie de la communauté pour penser les collectifs féministes en lutte[36] – dans une perspective qui, certes, à la différence de la nôtre, s’avère souvent plus critique envers Hegel. Ainsi, Carla Lonzi, bien qu’elle critique avec vigueur le phallocentrisme de la philosophie de Hegel, voit dans le chapitre VI, A de la Phénoménologie de l’esprit la potentialité d’une critique féministe : « À chaque fois que la femme se montre en tant qu’"éternelle ironie de la communauté", nous reconnaissons l’émergence de la position féministe[37]. » Selon une telle perspective, le chapitre VI, A prolonge de manière féconde la dialectique de la domination et de la servitude en permettant de penser une remise en cause de la domination à partir de la mobilisation collective. Cette remise en cause ne repose plus sur une conception anthropologique et universaliste de la reconnaissance, mais simplement sur l’expérience négative des dominés qui se révoltent contre l’intolérable.

Pour être tout à fait juste avec le texte hégélien, il faudrait préciser que, si Hegel a indéniablement eu toute sa vie de la sympathie pour la Révolution française[38], il était assurément plus réformiste que révolutionnaire[39] et ne faisait nullement l’éloge des mobilisations de masse[40]. On se tromperait donc si l’on voyait dans les développements du chapitre VI, A, a-b de la Phénoménologie de l’esprit un éloge ou une théorie de la révolte féminine. Il est significatif, à cet égard, que la dissidence féminine qu’il décrit dans ce chapitre, si elle révèle effectivement la contradiction du monde grec et concourt à sa chute, n’aboutisse aucunement à une reconnaissance accomplie entre hommes et femmes. Notre intention n’était donc pas de tordre le texte hégélien pour lui faire dire autre chose que son sens explicite, mais de suggérer plutôt à quel point une certaine lecture de la Phénoménologie de l’esprit rendait possibles des réinvestissements féconds, notamment de la part des pensées féministes, en liant l’expérience du déni de reconnaissance à une révolte qui concerne non seulement une femme isolée (Antigone), mais aussi l’ensemble des femmes opprimées de la cité, unies par la même oppression masculine qu’elles partagent.

 

Conclusion

La lecture que nous proposons du modèle hégélien de la reconnaissance prend ainsi appui sur un changement de paradigme – le passage de la lutte pour la reconnaissance à la lutte de reconnaissance – et s’enrichit de l’apport des lectures féministes de la philosophie hégélienne pour proposer une articulation entre ces trois types de relation sociale que sont la reconnaissance aboutie, la domination et la mobilisation collective. Le point charnière entre chaque moment de l’articulation est l’expérience négative que fait la conscience lorsqu’elle subit l’épreuve du mépris ou de la domination. Cette expérience négative elle-même repose sur la vulnérabilité d’une existence susceptible de souffrir, mais également de se révolter contre cette souffrance pour transformer l’ordre social en s’organisant politiquement.

On retrouverait là les deux sens que Judith Butler accorde à la vulnérabilité : d’une part, le sens négatif de la précarité, mais aussi, d’autre part, le sens positif d’une relation de dépendance qui nous ouvre à l’altérité. Ainsi dans Qu’est-ce qu’une vie bonne ?, conférence prononcée lors de sa réception du prix Adorno en 2012, Butler affirme que « nous sommes, en tant que corps, vulnérables face aux autres et aux institutions, et cette vulnérabilité constitue un aspect de la modalité sociale à travers laquelle les corps subsistent[41] ». Elle précise que pour lier ces deux aspects, il faut penser la vulnérabilité comme dépendance et interdépendance, afin de prendre en compte sa potentialité politique : « [...] je suggère que c’est seulement à travers un concept d’interdépendance susceptible de prendre en considération la dépendance du corps, les conditions de la précarité et les potentiels de performativité, que nous pouvons penser un monde politique et social qui tentera de dépasser la précarité au nom de vies vivables[42]. » C’est ce qu’avait bien vu Adorno lui-même, dont on peut, citer ces quelques mots qui font signe vers une théorie de la reconnaissance non grevée de préjugés métaphysiques : « Le moment corporel annonce à la connaissance que la souffrance ne doit pas être, que cela doit changer. "La douleur dit : passe." C’est pourquoi ce qui est spécifiquement matérialiste converge avec ce qui est critique, avec une praxis socialement transformatrice[43]. » L’idée exprimée par Adorno, ici, est que l’expérience négative se suffit à elle-même pour susciter la révolte et les collectifs capables de mettre en branle l’ordre du monde. En ce sens, le philosophe francfortois concourt ici à une conception non métaphysique de la reconnaissance.

Cette compréhension de la reconnaissance hégélienne, formulée depuis l’expérience négative des dominés, n’a plus besoin d’une conception anthropologique du sujet pour formuler des normes universelles, ni d’un éloge de la modernité dans laquelle se serait enfin révélées ces normes transhistoriques. Elle n’a plus besoin non plus du primat de l’identité, qui valorise coûte que coûte la réconciliation sur le conflit et le différend. Cette reformulation de la reconnaissance se montre par contre plus fidèle à l’expérience des individus qui, au quotidien, font plutôt l’épreuve du déni de reconnaissance que de sa réalisation accomplie. Au niveau théorique, elle se passe d’un certain nombre de préjugés métaphysiques habituellement mobilisés dans l’interprétation de la reconnaissance hégélienne. Au niveau pratique, elle entre en connexion avec les mouvements d’émancipation qui refusent le monde tel qu’il est et qui ne considèrent pas que les normes de la vie bonne se soient déjà révélées aux hommes.

 

 

Bibliographie

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* Biographie de l'auteur

Jean-Baptiste Vuillerod est agrégé de philosophie, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Lyon. Il rédige actuellement une thèse sur « L’anti-hégélianisme de la philosophie française des années 1960 » sous la direction d’Emmanuel Renault à l’Université Paris Nanterre (Sophiapol). Ses travaux portent notamment sur les réceptions de la philosophie de Hegel dans la philosophie française contemporaine, dans le féminisme et dans la pensée de Theodor W. Adorno.

 

 

[1] Kervégan Jean-François, Mabille Bernard (dir.), Hegel au présent. Une relève de la métaphysique, Paris, CNRS éditions, 2012, p. 14.

[2] Selon les propres dires d’Axel Honneth dans Hunyadi Mark (dir.), Axel Honneth. De la reconnaissance à la liberté, Lormont, Le bord de l’eau, 2014, p. 28.

[3] A. Honneth, Le droit de la liberté, Paris, Gallimard, 2015, tr. fr. Rusch Pierre et Joly Frédéric, p. 21.

[4] Axel Honneth tend même désormais à relire toute son œuvre à travers ce souci de dégager les normes communes partagées qui structurent les attentes de reconnaissance, cf. « Philosophe sociale et théorie sociale. Une interview d’Axel Honneth par Emmanuel Renault », Sociologie, n° 1, vol. 9, 2018 (https://journals.openedition.org/sociologie/3410). 

[5] Sur les lectures féministes de Hegel, voir les deux recueils collectifs : Mills Patricia J. (dir.), Feminist Interpretations of G. W. F. Hegel, University Park, The Pennsylvania State University Press, 1996 ; Hutchings Kimberly et Pulkkinen Tuija (dir.), Hegel’s Philosophy and Feminist Thought. Beyond Antigone?, New York, Palgrave Macmillan, 2010.

[6] Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l’esprit, Paris, Vrin, 2006, tr. fr. Bourgeois Bernard, p. 203.

[7] Honneth Axel, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 2010, tr. fr. Rusch Pierre, p. 208.

[8] Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l’esprit, op. cit., p. 201.

[9] Ibid., p. 202.

[10] Ibid., p. 203.

[11] Ce que fait Honneth dans La lutte pour la reconnaissance, op. cit.

[12] Honneth Axel, La lutte pour la reconnaissance, op. cit., notamment p. 208.

[13] Honneth Axel, Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, Paris, La Découverte, 2008, tr. fr. Fischbach Franck.

[14] Honneth Axel, La lutte pour la reconnaissance, op. cit., p. 209.

[15] Ce que Honneth appelle la « tournure matérialiste » de la théorie hégélienne de la reconnaissance part d’une phénoménologie de l’expérience pour aboutir à une typologie normative de la reconnaissance : « C’est ce que nous ferons en dressant une typologie qui, à partir d’une approche phénoménologique des faits sociaux, cherchera à décrire ces trois modèles de reconnaissance de telle sorte qu’ils puissent être contrôlés sur les situations mises en évidence par les sciences empiriques. » (La lutte pour la reconnaissance, op. cit., p. 114) On peut se demander si une telle démarche est véritablement, ou du moins suffisamment, matérialiste et si, en réalité, elle ne charrie pas avec elle de nombreux présupposés idéalistes, dont ceux que nous avons indiqués plus haut.

[16] Sur cette critique « pragmatiste » de la conception normative et honnethienne de la reconnaissance, cf. Renault Emmanuel, L’expérience de l’injustice. Essai sur la théorie de la reconnaissance (2004), Paris, La Découverte, 2017, avant-propos à la seconde édition, p. 8 ; et Renault Emmanuel, Reconnaissance, conflit, domination, Paris, CNRS éditions, 2017, introduction, p. 13-14.

[17] Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l’esprit, op. cit., p. 203 : « Ce pur concept de la reconnaissance, du redoublement de la conscience de soi dans son unité, est maintenant à examiner quant à la manière dont son processus apparaît pour la conscience de soi. »

[18] Ibid., p. 204 : « Mais la présentation de soi-même comme de la pure abstraction de la conscience de soi consiste, pour le Soi qu’on est, à se montrer comme pure négation de son mode d’être objectif, ou à montrer qu’on n’est lié à aucun être-là déterminé, qu’on n’est absolument pas lié à la singularité universelle de l’être-là, pas lié à la vie. »

[19] Ibid. : « Le rapport des deux consciences de soi est donc déterminé de telle sorte qu’elles se prouvent à elles-mêmes et l’une à l’autre, à travers le combat à la vie et à la mort, leur vérité. »

[20] Renault Emmanuel, Reconnaissance, conflit, domination, op. cit., p. 19.

[21] Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l’esprit, op. cit., p. 205 : « Mais cette preuve avérant par la mort supprime aussi bien la vérité qui devait en procéder que, du même coup, également la certitude de soi-même en général [...]. »

[22] Ibid., p. 206 : « [...] l’une est la conscience subsistante-par-soi, pour laquelle l’être-pour-soi est l’essence, l’autre est la conscience non subsistante-par-soi, pour laquelle c’est la vie ou l’être-pour-un-Autre qui est l’essence ; cette conscience-là est le maître, cette conscience-ci est le serviteur. »

[23] Marx Karl, Engels Friedrich, Manifeste du Parti communiste, Paris, Librairie Générale Française, 2008, tr. fr. Lyotard Corinne, p. 51.

[24] Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l’esprit, op. cit.,, p. 209.

[25] Ibid. : « [...] la conscience travaillante parvient ainsi par là à l’intuition de l’être subsistant-par-soi comme d’elle-même. »

[26] Compte tenu du fait que Hegel est le plus souvent considéré comme l’exemple par excellence du phallocentrisme de la métaphysique occidentale, il faudrait bien sûr justifier et argumenter en détails la possibilité d’une lecture féministe de son texte – ce que nous ne pouvons malheureusement pas faire ici. Nous l’avons esquissé dans notre article « Hegel féministe ? », La Vie des Idées, février 2017 (http://www.laviedesidees.fr/Hegel-feministe.html). 

[27] Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l’esprit, op. cit., p. 399 : « La différence des sexes et de leur contenu éthique demeure pourtant dans l’unité de la substance, et son mouvement est précisément le devenir persistant de celle-ci. L’homme est envoyé par l’esprit de la famille dans la communauté et il trouve dans celle-ci son essence consciente de soi ; de même que la famille a, de ce fait, en lui sa substance et subsistance universelle, de même, inversement, la communauté a, en la famille, l’élément formel de sa réalité effective et, en la loi divine, sa force et sa confirmation. »

[28] Ibid. : « Les essences éthiques universelles sont donc la substance comme conscience universelle, et elle comme conscience singulière ; elles sont le peuple et la famille comme leur effectivité universelle, mais l’homme et la femme comme leur Soi nature et l’individualité activante. »

[29] Ibid., p. 412.

[30] Ibid. : « Cette féminité – l’éternelle ironie de la communauté  change par l’intrigue le but universel du gouvernement en une œuvre de cet individu déterminé que voici, et renverse la propriété universelle de l’État en une possession et parure de la famille. »

[31] Cf. Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Principes de la philosophie du droit, Paris, PUF, 2013, tr. fr. Kervégan Jean-François, §140. Le concept d’ironie dans l’œuvre hégélienne de la maturité prolonge la notion de destin telle qu’elle est thématisée dans les œuvres de jeunesse, et notamment dans L’esprit du christianisme et son destin. Dans cette œuvre charnière que constitue la Phénoménologie, on trouve à l’œuvre les deux concepts. On sait que Hegel a aussi fortement critiqué l’ironie romantique comme vaine affirmation du moi, chez Schlegel, Solger et Tieck, cf. Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Cours d’esthétique, volume I, Paris, Aubier, 1995, tr. fr. J. P. Lefebvre et V. von Schenck, p. 90-97. On retrouve aussi l’ironie mobilisée pour décrire la réfutation socratique dans les Leçons sur l’histoire de la philosophie.

[32] Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l’esprit, op. cit., p. 408.

[33] Ibid. : « Mais la conscience éthique est plus complète, sa faute est plus pure, lorsqu’elle connaît à l’avance la loi et la puissance à laquelle elle vient faire face, lorsqu’elle la prend pour de la violence et du non-droit, pour une contingence éthique, et que, sciemment, comme Antigone, elle commet le crime. »

[34] Ibid., p. 412 : « Elle [= la féminité] fait par là de la sagesse sérieuse de l’âge mûr qui, mort à la singularité – au plaisir et à la jouissance tout comme à l’activité effective –, pense seulement l’universel et se soucie seulement de lui, un objet de raillerie pour l’espièglerie de la jeunesse immature et de mépris pour l’enthousiasme de celle-ci ; elle élève, d’une façon générale, au rang de la valeur, la force de la jeunesse, – celle du fils, en lequel la mère a mis au monde son maître, celle du frère, en lequel la sœur a l’homme comme son égal, celle du jeune homme, par lequel la fille, soustraite à sa non-subsistance-par-soi, obtient la jouissance et la dignité de la condition de la femme mariée. » La féminité dont il est ici question dans le propos hégélien doit être renvoyée à un collectif de femmes, et non à un principe qui n’impliquerait pas en lui-même l’émergence d’une pluralité. Hegel parle en effet des « familles » présidées par la féminité et les multiples positions qu’il mentionne (épouse, mère, fille, sœur) indiquent que la féminité renvoie chez lui à une pluralité d’individus.

[35] Butler Judith, Antigone : la parenté entre vie et mort (2000), Paris, Epel, 2003, tr. fr. Le Gaufey Guy, p. 44 : « [...] en mettant "les femmes" à la place d’Antigone, Hegel produit la généralisation même à laquelle Antigone résiste, une généralisation selon laquelle elle ne peut être tenue que pour une criminelle, ce qui, conséquemment, l’efface du texte hégélien. »

[36] Benhabib Seyla, « On Hegel, Women, and Irony », dans Feminist Interpretations of G. W. F. Hegel, op. cit. ; L. Irigaray Luce, « The Eternal Irony of the Community », dans ibid. ; Lonzi Carla, Crachons sur Hegel (1970), Paris, Eterotopia, 2017.

[37] Lonzi Carla, Crachons sur Hegel, op. cit., p. 49.

[38] Ritter Joachim, Hegel et la Révolution française (1957), Paris, Beauchesne, 1970.

[39] Bourgeois Bernard, La pensée politique de Hegel (1969), Paris, PUF, 1992, p. 31-32.

[40] Les Principes de la philosophie du droit rappellent ainsi que la « multitude » dans État reste une « masse informe dont le mouvement et l’ouvrage ne seraient par là même qu’élémentaires, irrationnels, sauvages et épouvantables. » (op., §303, remarque, p. 402)

[41] Butler Judith, Qu’est-ce qu’une vie bonne ?, Paris, Manuels Payot, 2014, tr. fr. Rueff Martin, p. 92.

[42] Ibid., p. 93-94.

[43] Adorno Theodor W., Dialectique négative (1966), Paris, Payot, 2003, tr. fr. Collège de Philosophie, p. 247.

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