Actes n°6 / Doctorales 58 : Scripta manent. Sources, traces, témoignages : la question de la transmission

Une carmélite « à demi-mots » : Louise de Jésus (1569-1628), de l’autobiophonie aux Fondations, une écriture transfigurée ?

Sandra Carabin
Une carmélite « à demi-mots » : Louise de Jésus...

Résumé

Dans son Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Henri Bremond écrit « je n’en connais pas de plus silencieuse que Madame Acarie et c’est là, me semble-t-il, le trait le plus original de sa merveilleuse histoire ». Si la relative absence d’œuvres publiées en ce premier XVIIsiècle rend les carmélites discrètes, elles ne sont pas totalement silencieuses : en témoignent les Vies et autres récits conservés dans les archives des couvents. La question se pose toutefois de pouvoir situer ces écrits fragmentaires, recomposés et éternellement mouvants, dans ce qu’on désigne comme la littérature spirituelle. L’exemple de Louise de Jésus permet d’aborder cette question de la transmission des traces au carmel au moyen de trois temps et trois formes d’écriture distinctes, toutes trois manuscrites : un récit de voyage, une Vie, un abrégé de vie intégré au récit des fondations. Refusant d’être autrice ou sujet, revendiquant leur indignité en tant qu’objet, se défiant du langage qui trahit toujours par son insuffisance la réalité à énoncer, comment ces femmes tentent-elles, malgré tout, de communiquer l’expérience silencieuse de l’anéantissement en Dieu ?

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Une carmélite « à demi-mots » : Louise de Jésus (1569-1628), de l’autobiophonie aux Fondations, une écriture transfigurée ?

Sandra Carabin*

 

On peut appliquer à l’écriture des carmélites ce que Bernard Hours (2017, p.649) dit de leur lecture : «Elle déborde très largement le monde de l’imprimé, et souvent, le manuscrit, malheureusement plus insaisissable, revêt une importance plus décisive et exerce un impact plus direct que le livre ». La littérature spirituelle est habituée à la transmission manuscrite : c’est un topos que d’écrire d’un texte qu’il n’a été composé que pour une sphère privée puis que la diffusion de copies manuscrites a incité son auteur à publier l’ouvrage. Au début du XVIIe siècle, les carmélites françaises s’en tiennent, cependant, le plus souvent, à cette diffusion manuscrite, semi-privée. Les religieuses n’étant autorisées qu’à témoigner et non à prêcher, publier reviendrait à exposer au monde des vies qui n’ont pu s’accomplir qu’en s’y soustrayant. De plus, tandis que l’imprimé vise une diffusion à un large public qui saura ou non tirer profit de ce qui lui est raconté, l’archive, quant à elle, réserve le récit à un public acquis, suffisamment éclairé pour pouvoir prolonger l’expérience narrée. Cette narration ayant débuté dans l’intimité d’une transmission orale, il semble alors naturel qu’elle se prolonge par une diffusion manuscrite, relativement privée. C’est le débat qui anime, par exemple, les proches de Madame Acarie après sa mort : ceux-ci sont unanimes, celle que l’on nomme déjà bienheureuse ayant détruit tous ses papiers, il faut écrire sa vie pour conserver une trace des grâces dont Dieu l’a favorisée et élaborer, par là-même, une figure fondatrice de l’Ordre du Carmel en France. En revanche, les carmélites ne voient pas la nécessité de publier cette vie : « c’était assez de déclarer verbalement aux Religieuses de son Ordre ce qui en est » (Duval, 1621, np.). Le projet d’une canonisation oblige Duval à se donner bien de la peine pour produire le récit acceptable d’une vie qui ne correspond pas aux normes en vigueur de l’hagiographie1.

Cette tension constante entre un désir d’effacement cultivé individuellement par les carmélites et la nécessité de constituer à l’ordre une histoire collective semble donc, le plus souvent, trouver un équilibre dans la production de textes manuscrits, écrits internes à l’ordre du Carmel voire internes au couvent (Henneau, 2008). Reste à déterminer la place qui peut leur être consacrée dans ce qu’on désigne comme la littérature spirituelle. En s’éloignant des circuits habituels de la production littéraire, les écrits des carmélites dérangent les notions d’autrice, de sujet, le rapport au temps, aux institutions et à une tradition littéraire. Il s’agirait alors d’observer la manière dont ces textes, éternellement mouvants par la pratique des copies, tentent, ou non, d’articuler l’expression d’une expérience individuelle avec les normes fixées d’un côté par une tradition littéraire et de l’autre par les institutions religieuses voire politiques.

Le cas de la mère Louise de Jésus2 fournit un corpus intéressant dans la mesure où, malgré le rôle important qu’elle a joué dans l’instauration du carmel thérésien en France, elle n’a fait l’objet d’aucune Vie publiée. Toutefois, à défaut d’une biographie figée, nous disposons de plusieurs récits manuscrits : en premier lieu, le récit que Louise propose du voyage qu’elle a effectué en Espagne dans le but de faire venir en France des filles de sainte Thérèse d’Avila - texte qui nous est parvenu sous la forme d’une reconstitution publiée dans la revue Carmel en 1960 à partir de manuscrits endommagés ; dans un second temps, une Vie de la vénérable Mère Louise de Jésus composée par la sœur Thérèse de Jésus Béreur à partir du témoignage que Louise reçut l’ordre de céder et dont l’un des exemplaires est conservé au carmel de Flavignerot ; de ce texte a été extrait un abrégé de vie intégré aux Fondations des carmélites réformées de France réunies au cours du XVIIIe siècle et publiées au XIXe siècle3. Cette infime partie d’un corpus bien plus large et probablement impossible à délimiter que sont les biographies de religieuses, sans être représentative de l’ensemble des vies de carmélites écrites au XVIIe siècle, doit néanmoins permettre d’interroger certaines des stratégies d’écriture à l’œuvre au Carmel4. Ces écrits recomposés traitant de la vie singulière de Louise de Jésus présentent en effet trois moments d’écriture, tous trois constitutifs d’un même besoin d’instituer5.

 

1. De l’autobiophonie à la biographie

La Vie de la mère Louise commence par une double injonction : celle de dire et celle d’écrire. Il faut ce commandement du supérieur pour permettre aux religieuses de parler de soi et de prendre la plume sans présomption de vanité. Thérèse de Jésus rapporte donc que le père Jacques Gallemant, l’un des trois supérieurs du Carmel, commanda à Louise de dire à Thérèse « ce qu’elle pourrait de ses grâces » et à Thérèse « d’écrire soigneusement ce qu’elle [lui] dirait» (Vie, «Avant-propos», n.p.). Le récit de soi sera donc d’abord un récit oral, une « autobiophonie »6 que la biographe devra recomposer sans en modifier l’essentiel. Quant à l’objet de la Vie de la mère Louise, il sera moins l’existence individuelle de la mère que sa vie intérieure unie à Dieu, autrement dit un discours moins historique que mystique. Le but qui doit animer cette entreprise biographique est clairement énoncé : édifier les autres religieuses. Gallemant craint en effet que « si cette digne mère venait à mourir sans que l’on sût d’elle plusieurs grâces qu’elle avait reçues de Dieu, ce ne fût une notable perte pour les âmes de l’ordre qui pourraient en profiter » (Vie). Les deux religieuses se plient alors à cette volonté du supérieur. Thérèse confirme la nécessité d’un tel ordre en assurant que « c’est par cette voie [ou voix ?] qu’[elle a] su les grâces que notre Seigneur a fait à cette sienne servante » (Vie). Elle témoigne en outre du zèle qu’elle met à consigner par écrit les propos de Louise et, comme l’objectif est d’édifier, elle ajoute à ce récit « ses vertus, enseignements et autres choses » (Vie). Le texte s’ouvre donc, dès l’avant-propos, sur une pluralité de voix : celle du supérieur qui autorise l’écriture, celle de Louise qui doit révéler sa relation intime avec Dieu, celle de Thérèse qui promet de transcrire fidèlement ce qui lui est dit et qui peut, en outre, augmenter le propos en déclarant les vertus qu’elle a elle-même observées chez la prieure, et enfin les voix des « Religieuses qui l’ont conversée » et qui peuvent également témoigner de ce qu’elles ont expérimenté auprès de la mère Louise. Tant de témoignages convergents visent à assurer les lecteurs de la vérité énoncée. Une faille apparaît pourtant : Gallemant n’a pas ordonné à Louise de tout dire mais de dire « ce qu’elle pourrait ». Thérèse se heurte alors à la discrétion de la prieure ; aussi déclare-t-elle : « Je le fis le plus fidèlement et véritablement qu’il me fut possible, lui redemandant même ce que je doutais n’avoir pas bien entendu ou compris, à cause que par sa grande humilité, elle ne disait aucune fois qu’à peine et à demi-mots ces choses-là » (Vie). Ce problème d’une énonciation « à demi-mots » réapparaît à diverses reprises au fil du texte. Lorsqu’elles abordent la question des manières d’oraison, Thérèse évoque « une manière de vraie solitude intérieure [...] où lui était donnée l’intelligence de plusieurs choses qui ne se peuvent dire », « une autre manière d’oraison que nous ne savons pas dire était un promener de Dieu en l’Âme ou avec l’Âme, ceux qui en auront l’expérience l’entendront bien » ou encore « tout ce que sa majesté lui a voulu révéler et faire connaître de ses divins secrets a été [...] en des manières si nues et simples qu’il n’y a pas de termes propres pour les déclarer » (Vie, p.36- 37). La multiplicité des voix et le brouillage énonciatif qui en résulte (le «je» de l’autobiophonie de Louise devenant « elle » dans la biographie établie par Thérèse) sème le doute quant à l’identité du « nous » : est-ce Thérèse seule ou Thérèse et Louise ? L’opposition apparente à « ceux qui en auront l’expérience » n’en est pas une si l’on considère que Louise a l’expérience et « entend » probablement ce dont il s’agit mais ne saurait pour autant l’exprimer, faute de « termes propres ». L’aveu d’incapacité à dire la relation à Dieu et la nécessité de l’expérience pour comprendre ce type de discours sont suffisamment fréquents sous la plume des spirituels pour être considérés comme des topoi. On retrouve là ce qu’Antoinette Gimaret (2013, p.439) explique être un « témoignage de l’existence d’un extraordinaire qui reste replié sur lui-même, qu’il faut à la fois “cacher et produire” ». Par le choix, récurrent au Carmel, de la diffusion manuscrite, interne à quelques couvents seulement, cette « résistance du secret » prend tout de même une dimension particulière. Le peu d’empressement des carmélites à faire imprimer leurs écrits ne semble pas suffire à persuader Louise de tout dire ; le supérieur même ne l’exige pas d’elle en limitant son injonction à « ce qu’elle pourrait ». Le texte est pourtant écrit en premier lieu pour celles qui partagent le quotidien de la mère Louise et qui sont déjà averties de cette vie cachée (mystique), de sorte qu’elles puissent conserver la trace de ces grâces après la disparition de la prieure : elles conservent donc la trace d’un indicible et d’une humilité, qualités ordinairement cultivées dans leurs communautés.

La perspective d’une diffusion manuscrite, interne au Carmel, permet également de jouer avec l’identité générique du texte : dès lors que le récit de soi doit se tourner vers un récit des grâces divines, s’agit-il d’écrire une biographie ou une hagiographie ? Inévitablement, les carmélites construisent leur écriture à partir de modèles littéraires que sont les vies de saintes. Cela n’empêche pas la prise de libertés par rapport au modèle traditionnel, a fortiori dans un texte non destiné à la publication, hors projet de canonisation. Pour ne prendre qu’un exemple, les carmélites semblent peu attachées au motif de la vocation contrariée par le mariage. Après avoir traditionnellement rappelé la généalogie catholique de Louise et les dispositions naturelles de cette dernière à la perfection, la biographe mentionne qu’elle « n’avait point de volonté d’être mariée mais n’ayant jamais fréquenté les personnes dévotes, et n’ayant connaissance de plus de perfection, elle le fut à l’âge de vingt ans » (Vie, p.3). Ce motif est repris dans les Fondations où l’on peut lire que « n’ayant nulle connaissance de la perfection religieuse, [elle] suivit la volonté de ses parents en épousant M. Guillaume Jourdain. » (Fondations, p.91) Leur vie de couple est présentée comme conforme aux préceptes de l’Église jusqu’au décès prématuré de M. Jourdain, « lequel elle aimait en une manière qui ne se peut dire » (Vie, p.6)7. Cette absence de vocation religieuse précoce est renforcée par le récit de son veuvage, durant lequel « Mme Jourdain avait déjà fait vœu de chasteté par le conseil de son sage directeur mais elle n’avait encore eu aucun attrait pour la vie religieuse » (Fondations, p.107). On retrouve la même ambivalence à propos de l’abandon des enfants : Dieu lui enseigne « que le lien de la nature ne devait pas être plus fort en elle que celui de la charité » (Vie, p.13) ; toutefois « la grâce avait corrigé l’excès de tendresse qu’elle avait pour eux, mais l’amour maternel n’était point éteint, et il se réveillait quelquefois au point que toute sa nature frémissait, surtout lorsque les voyant, elle pensait qu’il fallait s’en séparer » (Fondations, p.109). Cet instinct maternel de Louise, a priori difficile à concilier avec l’idéal de perfection qui passe par un détachement des créatures, permet pourtant de construire la figure de la mère spirituelle. Régulièrement, dans la suite du texte, les enfants de Louise réapparaissent, par exemple, lorsque Mme Acarie lui demande d’être responsable des postulantes au carmel. « M.Gallemant qui prenait soin de leur direction, lui proposa de prendre soin de cette maison comme supérieure mais sa soumission ordinaire n’alla pas jusque-là. Elle lui répondit résolument, usant du reste de volonté qu’elle n’avait pas encore sacrifiée par les vœux de religion, que s’étant déchargée du soin de ses enfants pour n’avoir personne à gouverner, elle ne pouvait se voir en autorité sur qui que ce soit, et qu’elle ne venait que pour obéir » (Fondations, p.112). Cette absence de rupture franche entre sa vie dans le monde et sa vie au couvent est autorisée par Dieu lui-même, qui lui enseigne que son mariage terrestre devait la préparer au mariage spirituel. Dès lors, plutôt que de reprendre le topos de la conversion soudaine, la biographe de Louise insiste sur la cohérence de l’itinéraire de la prieure et loue le soin qu’elle portait aux âmes qui lui étaient confiées « d’un cœur plus que maternel »8 (Vie, p.40). En l’absence de projet de canonisation, la conformité au modèle de sainteté officiellement et publiquement reconnu semble s’assouplir au profit d’un modèle de bonne religieuse ayant mené une vie exemplaire susceptible d’inspirer les descendantes. Surgit alors la possibilité de « vouloir faire droit à la fragilité, également digne d’être sauvée de l’oubli et censée édifier les générations suivantes au même titre que les exploits » (Henneau, 2008, p.230), surtout lorsque ces fragilités sont réinsérées dans un dessein divin.

Les anecdotes personnelles, si elles semblent créer un écart avec le discours attendu, n’éloignent donc pas pour autant la biographe du projet initial qui lui a été confié : écrire les grâces afin d’édifier les autres religieuses. En effet, le parcours de Louise est rythmé par les visions et paroles divines, consolations comme épreuves. L’événement réside alors moins dans l’abandon des enfants que dans la mention de la présence divine à cette occasion : il est important que Louise ait été mariée et mère de famille car Dieu l’a voulu ainsi pour la préparer au rôle de fondatrice qu’il lui a destiné. Chaque écart est ainsi réinséré dans un dessein divin. Toutefois, lorsqu’il s’agit de raconter les communications divines, le texte se brouille : la chronologie est perdue, les mots sont inadéquats et l’esprit manque. « Nous dirons ici ce que nous avons su et pouvons dire de ses lumières et connaissances qui lui ont été données par clartés en l’esprit, bien que nous ne sommes pas assurées que toutes aient été en ce temps duquel nous parlons présentement, ainsi je crois que les unes ont été plus tôt les autres plus tard, et si nous ne les dirons pas comme elles ont été pour n’avoir pas l’esprit, mais très grossièrement les ravalant et rabaissant beaucoup » (Vie, p.37). La transcription d’un événement passé ne devant viser qu’à la communication présente par la lecture des lumières divines, l’impératif chronologique de la biographie est momentanément suspendu pour laisser apparaître les visions intérieures de Louise : la grandeur de Dieu au regard de sa propre petitesse, la comparaison de sa personne à l’araignée convertissant tout en venin, ou encore la métaphore de l’âme comme une piscine d’eau tranquille que seul l’ange pourrait venir troubler, sont autant d’événements qui ont nourri sa progression spirituelle quelle que soit la date de leur apparition.

Cet état composite du texte, cumulant anecdotes personnelles et discours spirituels, motifs traditionnels et écarts significatifs, est aggravé par le phénomène des réécritures. Les archives constituent une mémoire continuellement en construction par le travail des copies. Thérèse de Jésus fait part d’une écriture en trois temps : Louise, malade, raconte pendant qu’elle prend des notes ; une fois Louise décédée, Gallemant souhaite que cette vie soit mise en lumière mais cela n’est pas fait, peut-être en raison du décès de celui-ci ; enfin, bien des années plus tard, l’archevêque de Besançon alors supérieur des carmélites de Bourgogne demande que cette vie soit écrite et Thérèse reprend les mémoires pour leur donner la forme qu’on connaît. Du moins peut-on le supposer. Le manuscrit conservé au carmel de Flavignerot comprend un certain nombre de corrections datées de 1790, ce qui peut correspondre au moment où est entreprise la rédaction des Fondations des Carmélites réformées de France dont les volumes seront publiés au XIXe siècle par les religieuses de Troyes. La copie implique systématiquement des modifications. Ainsi, l’Abrégé de vie inclus dans les Fondations dit reprendre « mot à mot » l’avant-propos de la Vie écrite par Thérèse de Jésus ; pourtant, il coupe plusieurs éléments dont la polyphonie déjà mentionnée. L’intention d’exactitude n’empêche donc pas les transformations. Dans le cas des Fondations, les modifications peuvent s’expliquer par la différence d’objectifs : plutôt que de chercher à édifier, ces volumes tentent de construire une histoire de l’ordre, de fonder, par l’écriture, un corps religieux voire mystique.

 

2. De la biographie à l’institution

Comme l’explique Jacques Le Brun (2013, p.10), « ces vies, vies de religieuses éminentes comme de moins extérieurement remarquables, ont eu une fonction que l’on peut appeler fondatrice : elles constituent un corps, social, religieux, mystique, avec une histoire, elles fondent une institution ». En effet, avec le vieillissement et la disparition d’une première génération de carmélites apparaît le besoin de conserver une trace des origines du Carmel. L’enjeu est double : il faut « dessine[r] les traits d’un style “français” de Carmel » (Le Brun, 2013, p.9). pour donner une identité à un ordre religieux encore tiraillé par sa double parenté gallicane et espagnole9, et cela passe par un rapport de filiation avec le carmel thérésien. Louis Marin (1993) a développé dans son article « Biographie et fondation » le lien entre la mort de la fondatrice et l’institution d’un ordre religieux. Les vies des carmélites françaises renvoient toutes, dès le commencement, à sainte Thérèse d’Avila. Il est important de noter à ce sujet la façon dont ces textes anticipent la décision pontificale quant aux dénominations de « sainte » ou de « bienheureuse » sans feindre systématiquement les excuses que l’on trouve dans les imprimés10 : malgré les réformes successives par lesquelles Rome tente d’encadrer le culte des saints, lorsqu’elle écrit en 1620 son Voyage en Espagne, Louise n’hésite pas à nommer «sainte» Thérèse d’Avila et « bienheureuse » Madame Acarie alors que la première est canonisée en 1622 et la seconde béatifiée en 1791. Outre la désignation, dès 1603 (dix ans avant la béatification de Thérèse donc), le voyage en Espagne prend déjà des airs de pèlerinage, et la narratrice n’hésite pas à rapporter l’insistance auprès des pères carmes pour obtenir quelques reliques (farouchement gardées) de la mère espagnole. Le rapport à la fondatrice permet donc aux religieuses de construire, par l’écriture conventuelle, un corps, une histoire qui s’élabore parallèlement aux écritures officielles. Mais avant d’avoir une telle dévotion pour Thérèse d’Avila, la rencontre de la mère espagnole constitue déjà l’un des moments décisifs dans la vie d’une religieuse, celui de la vocation. Cet appel au Carmel n’est jamais évident. Dans un premier temps, la femme dont on lit la vie entend parler des écrits de sainte Thérèse, puis les lit ou se les fait lire ; cette lecture étant nécessaire mais non suffisante, il faut ensuite qu’un être céleste (souvent sainte Thérèse, parfois Dieu) se manifeste et annonce à celle-ci sa destinée carmélitaine. Les manifestations de la sainte sont multiples: vision, parole intérieure, odeurs, image miraculeuse... Après avoir lu les écrits de sainte Thérèse, Louise entend ainsi Dieu lui déclarer qu’elle sera « Thérésienne » (Vie, p.51): elle-même est d’ailleurs surprise par le terme employé, préféré par deux fois à celui de « carmélite ». Non seulement cette origine espagnole du Carmel français ne gêne pas la fonction fondatrice de ces récits, mais elle semble même revendiquée avec insistance. Plus qu’un ordre, c’est alors l’exemple d’une religieuse et de sa réforme que les carmélites s’engagent à suivre.

Le souci d’édifier rencontre celui d’instituer dans la lecture qu’en font les religieuses : à proposer en modèle les vies des premières carmélites, les autrices invitent leurs lectrices à s’approprier ces vies, à les réincarner. Il n’est dès lors pas rare de dire d’une religieuse qu’elle était « une autre sainte Thérèse ». Mais comment reproduire une vie formée et dirigée par Dieu (Marin, 1999)? Si les carmélites doivent s’en remettre totalement à la volonté divine, comment peuvent-elle en même temps se conformer au modèle fondateur ? D’autant que les figures fondatrices du Carmel s’accordent difficilement avec les modèles canoniques de la sainteté : Thérèse d’Avila est étrangère et ne peut fournir un modèle français, Madame Acarie exerce l’essentiel de ses fonctions en étant mariée et mère de famille, Louise de Jésus est également mère de famille et théodidacte. L’imitation se joue alors dans la mise en place d’une filiation (Le Brun, 2013 ; Marin, 1993 et 1999 ; Duyck. 2020).

Ainsi Louise elle-même, toute théodidacte qu’elle est, compare son avancement spirituel à celui de Thérèse dès la lecture de ses œuvres : « La première chose qu'elle rencontra fut ce qui est écrit aux demeures intérieures des paroles de Dieu à l'Âme. Elle voyant cela commença à regarder en soi, et penser qu’elle n'avait point de choses semblables, d'autant que tout lui était donné par clartés et lumières en l'esprit, et par son humilité́ elle tenait tout ce qu'elle avait pour choses ordinaires. Étant en cette pensée, soudain elle entendit fort intérieurement (que sais-tu) ce fut la première parole qu'elle entendit de la part de Dieu, laquelle incontinent lui fit voir l'état où ce grand Dieu tenait son Âme, ayant jusques alors opéré́ en elle toutes ces choses spirituelles, sans quelle le connût, la tenant cachée à elle-même. Depuis elle reçut de Dieu beaucoup de grâces semblables à celle de n[ot]re sainte Mère Térèse.» (Vie, p.46) « Semblables » mais non identiques. Au-delà des grandes figures de mères fondatrices, Thérèse de Jésus Béreur écrivant la Vie de la mère Louise insère, à sa suite, « quelque peu des vertus et mérites d’une religieuse sa chère fille, fondatrice de ce monastère de Dôle qui y est décédée en odeur de sainteté », soit une seconde Vie d’une seconde Louise de Jésus, la reprise du nom renforçant la filiation. Puisqu’il n’est pas à la portée des religieuses d’être une copie parfaite de leur fondatrice, l’enjeu est d’être au moins la « digne fille » de la mère spirituelle.

Cette mise en place d’une hiérarchie familiale est un topos sous la plume des religieuses et permet la jonction entre le carmel espagnol et le carmel français. Ce dernier ne saurait être l’identique du premier mais il peut s’attacher à respecter ses principes, partager un même esprit et constituer donc un membre différent d’un même corps. Le texte qui fait le mieux le lien entre les deux carmels et renforce l’unité de ce corps, à l’époque déchiré par les querelles internes, est sans nul doute le Voyage d’Espagne composé par Louise de Jésus en 1620. Bérulle, qui est, comme Gallemant, supérieur de l’ordre, demande à Louise de Jésus d’écrire le récit du voyage qu’ils ont fait en Espagne en 1603-1604. Dans la lettre qui accompagne son texte, celle-ci rappelle toutefois la préséance de Mme Acarie dans cette fondation : « Mais aussi faut-il que nous reconnaissions ce que Dieu a voulu honorer en ce sien œuvre et il semble, comme votre Révérence sait très bien, qu’il ne se peut ignorer que notre bienheureuse sœur Marie de l’Incarnation ne soit celle que la Majesté divine a, comme un instrument en sa main, prise, tirant avec ce divin pinceau les premiers traits de ce que sa divine volonté avait déterminé de dresser et laisser en terre »11. En attribuant l’initiative à Mme Acarie, Louise rappelle l’importance du travail effectué en France, le voyage en Espagne ne venant alors que seconder ce premier élan de fondation. Durant ce voyage, les dames ont l’occasion de rencontrer différentes communautés espagnoles : chacune de ces communautés renforce les Françaises dans leur détermination. Le récit témoigne en outre de l’élection divine de l’ordre par les multiples épreuves endurées (tempêtes, précipices, accidents et maladies) et par les miracles opérés (guérisons et sauvetages in extremis). La présence de sainte Thérèse s’y fait également sentir, au sens littéral, puisqu’une « très suave et très douce odeur » (Voyage, p.149) vient confirmer aux mères espagnoles et aux dames françaises que celle-ci les a accompagnées en France. Louise reçoit enfin de la bouche de la mère Casilde des Anges à Valladolid la confirmation qu’elle sera carmélite, de la Mère Thomassine-Baptiste, prieure du carmel de Burgos, son nom de carmélite, et de la mère Anne de Saint-Barthélémy la certitude qu’elle n’est pas appelée à l’état de sœur converse. Les aventures narrées permettent donc d’établir une histoire commune par un retour aux sources, à l’esprit primitif, soufflé par Dieu lui-même et le parcours individuel de Louise témoigne dès lors de l’importance décisive d’une communauté dont la filiation dépasse les frontières géographiques.

Si le Voyage d’Espagne contribue à instituer un Carmel français, c’est certes en rappelant cette parenté thérésienne et l’importance de sa transmission la plus directe possible, mais cette fondation passe également par l’effacement de l’autrice. Louise raconte à la 3e personne, se présentant alors comme une figure anonyme dont l’unique rôle est celui d’intermédiaire, de passeuse.

 

3. Une écriture transfigurée ?

La vie de Louise, que ce soit sous sa propre plume ou sous la plume d’une secrétaire, s’élabore de toute façon dans un récit à la 3e personne. Le procédé protège l’humilité attendue de toute religieuse en refusant l’ego, mais il témoigne surtout d’un retrait de la voix : la 3e personne constitue ainsi la « marque linguistique de la désappropriation de soi et de la tension continue entre le « je » et le récit de sa perte » (Houdard, 2001, p. 202). Lorsque Thérèse, dans la Vie de la mère Louise de Jésus, rapporte le dialogue fondateur entre Mme Acarie et Louise de Jésus qui décide du voyage en Espagne, Louise « répond » à l’interrogation de la bienheureuse et « dit : ce sera moi, et pour ce faire, elle eut vocation de Dieu en cette sorte [...]» (Vie, p. 57), suit alors la description de la manifestation divine en Louise et le partage de cette expérience à Mme Acarie. La 3e personne qui désigne Louise permet de dire la personne, désormais absente puisque défunte, qu’était la prieure. À l’inverse, lorsque Louise raconte cet événement dans son Voyage d’Espagne, « elle » n’est pas absente, elle vit et écrit ; elle n’en est pas moins effacée du récit, dans un dépouillement absolu de toute individualité. Les marques de 3e personne permettent alors le déplacement du sujet vers un autre protagoniste : Dieu lui-même. « Celle-ci, laquelle comme l’âne de Balaam il semble que Dieu la fit parler pour dire ce qu’il en voulait, et répondit à cette sainte âme : “Vous n’avez rien fait jusque à présent et ne ferez rien bien si vous ne faites que l’on ait des religieuses d’Espagne”. Cette bonne âme [Madame Acarie] entendant ceci demeura toute en silence et comme si elle eût entendu ceci venir de Dieu [...] elle dit : “Mais nous n’avons personne qui ira les quérir !” Celle-ci répliqua : “Ce sera moi”. Mais quelle foi a cette sainte âme, ne regardant pas les plus fortes difficultés des états et les fortes et puissantes personnes qu’il fallait de tant de crédit devant et envers les hommes. Perdant pour lors la vue de tout cela et même de celle-ci qui s’offrait étant ce qu’elle était [...] » (Voyage, p.144). Ce n’est plus Louise qui parle mais Dieu qui la fait parler. De même, le privilège d’une communication avec Dieu ne revient pas à Louise mais à Mme Acarie. On retrouve ici un exemple de la communication « à demi-mots » de la mère Louise puisqu’en définitive, la décision se joue ici dans un « silence », marque d’un colloque de la bienheureuse avec Dieu dont on ne saura rien puisque les biographes et chroniqueuses en font un tout autre récit.

Ce jeu des pronoms faisant du « elle » un « moi décollé, déporté » (Marin, 1999, p.12) et anéanti permet le passage d’une première figure, celle de la fondatrice, image d’une mère spirituelle à laquelle les filles pourront tenter de se conformer, à une seconde figure entendue cette fois comme « prophétie en actes » (Auerbach, 1993). Louise témoigne en effet d’une Providence, qui préside à tout. Les multiples accidents rencontrés en Espagne (tempêtes en mer, voiture chahutée par la proximité d’un précipice) trouvent un écho dans les dispositions d’esprit par lesquelles Dieu a précédemment formé la jeune femme : après s’être vue suspendue au-dessus de l’abîme par la main de Dieu, les ravins ibériques ne sont plus en mesure de l’effrayer. Dans une gestion complexe du temps, la narratrice (biographe ou autobiographe) ne consigne donc les événements passés qu’à proportion de ce qu’ils annoncent une réalisation ultérieure, dans un temps à venir et offrent la possibilité d’un enseignement spirituel. Il s’agit alors bien « de convertir les événements en signes » de sorte d’écrire une « longue et mystérieuse geste d’une fondation permanente de l’institution par Dieu » (Marin, 1993, p.149-150). Cette fonction fondatrice du récit de vie implique dès lors de montrer (Louis Marin, 1993, p.148 insiste sur la « valeur quasi déictique du récit ») les différentes manières dont Dieu a permis l’expansion de l’ordre du carmel en France. Ainsi, l’une des visions que Dieu imposa à Louise semble contenir l’itinéraire à venir de la future carmélite autant qu’il offre aux lectrices une leçon sur l’itinéraire à suivre pour atteindre la perfection. Thérèse de Jésus rapporte que Louise « vit au lieu du saint sacrement notre Seigneur Jésus Christ, et elle se voyait un peu éloignée qui marchait en esprit pour s’en approcher ; étant assez près, elle trouva aux pieds de notre seigneur un grand abîme comme un puits très profond, qui lui causait une impossibilité à s’en approcher de plus près, et se voyant tout arrêtée, sans avoir aucun moyen, comme hors d’espérance, elle demeura là, ne pouvant être aidée de soi-même ni des créatures. Alors inopinément, sans qu’elle s’y attendit, notre seigneur Jésus Christ étendit son bras et la prit en sa main, la tirant à soi ; elle se trouvant comme au milieu de cet abîme, suspendue, tenue de cette divine main, son esprit commença à regarder le danger où elle était, si notre seigneur la lâchait. Cette réflexion d’esprit sur ce péril lui fit voir un grand défaut en elle, de craindre de la faiblesse en cette main pour la laisser tomber étant toute puissante, ou qu’il voulut la précipiter étant infiniment bon, et qu’il la voulut perdre, étant tout plein d’amour pour elle. (...) Ainsi revenant à soi, elle connut en cette vision être représenté tout le chemin de la perfection ». (Vie, p.42) L’expérience de la marche vers le Christ et de l’abîme permet de renvoyer à deux réalités, le cheminement géographique en Espagne puis à travers les différentes villes où Louise est ensuite appelée à fonder des monastères et l’avancement spirituel, « chemin de la perfection » qu’elle aurait donc expérimenté avant de lire celui de Thérèse d’Avila. Rapportée à sa biographe, l’expérience est mise à la disposition des autres religieuses qui sont à leur tour invitées à considérer l’insuffisance de la créature et l’amour de Dieu, dans leur propre cheminement intérieur et extérieur.

Par conséquent, ces discours qu’on lui ordonne de tenir sur ces « clartés », « lumières », « grâces » reçues de Dieu doivent permettre la réitération, dans un geste de préservation de l’esprit primitif de l’ordre et de mémoire continue. La 3e personne ne désigne alors plus une figure individuelle, fût-ce une marionnette divine, mais « l’âme » ou « l’esprit ». Après une communion, « son esprit se trouva comme une personne qui étant jusques alors tenue d’une autre par la main, serait laissée seule et sans aide ni aucun appui ; mais néanmoins son esprit était tenu fortement et puissamment, sans divertissement, en ce néant, désappui et dépendance totale de Dieu, laquelle disposition établissait l’âme en une profonde humilité et connaissance de ce qu’elle est sans Dieu, à savoir un pur néant, et par conséquent, la rendait capable et disposée à recevoir plus dignement l’opération de la grâce, d’autant qu’il ne lui était plus possible de s’en attribuer ni retenir chose aucune à elle-même, ni apporter aucune résistance à Dieu, étant toute anéantie et donnant vraiment lieu en soi au vrai être, lequel commença dès lors à faire voir plus clairement en elle sa toute puissance, l’élevant à telle sublimité de ses dons et grâces sanctifiantes que lui seul les connaît telles qu’elles ont été » (Vie, p.20). Dans cette déchirure du je, divisé entre la « personne », « l’esprit », « l’âme » et ce « vrai être » qui l’élève jusqu’à l’inconnaissable et donc à l’indicible, Louise a disparu au profit d’une figure que peuvent investir toutes les religieuses. Par cette absence, la « transfiguration biographique » (Marin, 1993, p.153) peut dès lors offrir «la condition de possibilité de toutes les figures historiques de l’institution ». Le récit de vie consiste en effet moins à représenter une vie passée, achevée, qu’à engager les lectrices à construire leur propre vie dans la continuité d’un modèle qui s’efface d’autant plus que le retour aux origines doit autoriser l’avenir de la communauté. Aussi, si la Vie retrace une généalogie, de la « séraphique mère sainte Thérèse » à « notre vénérable mère Louise de Jésus » en passant par « des premières mères de l’ordre » c’est pour mieux atteindre « les âmes que sa divine bonté a par après mises sous sa conduite » (Vie, p.93), y compris les lectrices donc. La vie offerte en modèle est alors fondatrice en ce qu’elle met en évidence un incessant passage, d’un temps à un autre, d’un lieu à un autre, dans l’élaboration d’un même esprit du carmel. Par cet effacement de toute individualité au profit du mouvement divin, chaque carmélite est invitée à expérimenter ce néant et ainsi faire corps avec celle dont on prétend écrire l’histoire pour mieux instituer un même corps religieux.

Pour conclure, nous avons pu constater que l’écriture des premières carmélites françaises s’efforce d’articuler une expérience singulière, celle de la vie de Louise de Jésus, avec la nécessaire élaboration d’une institution, celle du Carmel français. Si la Vie de la mère Louise, grâce au cercle restreint de diffusion, s’octroie quelques libertés avec le modèle canonique de la « bonne religieuse », elle reprend tout de même la traditionnelle mise en scène d’une écriture à trois : Dieu, la religieuse anéantie et la scripteuse. Ce qui s’y énonce semble osciller constamment entre l’événement terrestre, extérieur, qui permet l’instauration matérielle du Carmel en France et un autre événement, spirituel, intérieur, qui doit permettre la transmission d’un esprit du Carmel. L’enjeu pour les autrices est pourtant de parvenir à rendre évidente la coïncidence de ces deux réalités, notamment en rendant visible cette vie intérieure, et en sortant ce vécu de son caractère individuel pour en faire une figure assimilable par tous. À ce titre, ces textes correspondent à la définition que Sophie Houdard (2001, p.196) donne de la « vie spirituelle comme genre » puisqu’elle combine « une écriture qui fait de l’intériorité son espace de référence et de l’expérience singulière son objet tout en déniant à ce même sujet une quelconque position d’autorité et de subjectivation ». Cette « assomption d’un langage qui dit les soustractions et les absences du moi » se porte donc « aux limites de la frontière linguistique » (Houdard, 2001, p.200), en ce que cette réalité transcendante ne peut être dite qu’à « demi-mots », quand elle ne se révèle pas dans le silence d’une parole impossible ou d’un manuscrit détruit.

 

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Bibliographie

Sources

  • « Abrégé de la vie de la vénérable mère Louise de Jésus ». In : Fondations des Carmélites réformées de France, en particulier du premier couvent de Paris (1764 env.), 6 volumes manuscrits consultés au carmel de Pontoise, tome 4 « Dôle », 88-162. Ces textes ont été repris dans les Chroniques de l’ordre des carmélites de la réforme de Sainte Thérèse depuis leur introduction en France (1846-1864), 5 volumes. Troyes : Anner-André.

  • Duval, A. (1621). La Vie admirable de Sœur Marie de l’Incarnation, religieuse converse en l’Ordre de Notre Dame du Mont Carmel & fondatrice d’iceluy en France, appelée au monde la Demoiselle Acarie. Douay : B. Bellere.

  • Louise de Jésus (Jourdain)  (1620). Le Voyage d’Espagne écrit de la main de la vénérable Mère Louise de Jésus, morte en odeur de sainteté dans notre monastère des carmélites de Dôle, recomposé et publié dans cinq numéros de la revue Carmel de 1960/2 à 1961/2.

  • Thérèse de Jésus (Béreur), La Vie de la vénérable Mère Louise de Jésus, religieuse de l’ordre de Notre Dame du mont Carmel selon la réforme de Ste Thérèse, escrite par une religieuse du mesme ordre par le commandement de ses supérieurs, (entre 1628 et 1657), manuscrit du XVIIe siècle conservé au Carmel de Flavignerot.

Études

  • Auerbach, E. (1993). Figura [trad. par M. A. Bernier]. Paris : Belin.

  • Duyck, Clément (2020). Filiations familiales et spirituelles dans les Vies religieuses féminines (France, XVIIe siècle). XVIIe siècle, no. 3, 473-484.

  • Gimaret, A. (2013). Il y a plus de sagesse de se celer que de se publier. Enjeux et pratiques du secret dans les biographies spirituelles du XVIIe siècle en France. In : Le Partage du secret. Cultures du dévoilement et de l’occultation en Europe du Moyen Age à l’époque moderne. Paris : Armand Colin, 432-448.

  • Henneau, M.-E. (2008). Femmes en quête de rôles dans l’histoire du salut : biographies de religieuses et religieuses biographes. In : Steinberg, S., Arnould, J.-C. (dir.), Les Femmes et l’écriture de l’histoire, 1400-1800. Mont-Saint-Aignan : Presses universitaires de Rouen et du Havre, 219-229.

  • Houdard, S. (2001). Les auteurs mystiques et la pensée du dehors. In : Une histoire de la «fonction-auteur» est-elle possible ?, Actes du Colloque ENS Fontenay-Saint-Cloud, mai 2000, organisé par N. Jacques-Lefèvre et F. Regard. Saint- Étienne : Publications de l'Université́ de Saint- Étienne, 193-218.

  • --- (2008). Les Invasions mystiques. Paris : Les Belles Lettres.

  • Hours, B. (2017). De la lecture au Carmel. France XVIIe-XVIIIe siècles. In : Henryot, F., Martin P. (dir.), Les Femmes dans le cloître et la lecture (XVIIe-XIXe siècles). Paris, Beauchesne, 627-649.

  • Le Brun, J. (2013). Sœur et amante. Les biographies spirituelles féminines du XVIIe siècle. Genève : Droz.

  • Marin, L. (1993). Biographie et fondation. Esprit, no. 12, 141-156.

  • --- (1999). L’Écriture de soi. Paris : Puf.

  • Orcibal, J. (1959). La Rencontre du Carmel thérésien avec les mystiques du Nord. Paris : Puf. 

  • Poutrin, I. (1995). Le Voile et la plume. Autobiographie et sainteté féminine dans l’Espagne moderne. Madrid : Casa de Velázquez.

  • Morgain, S. (1995). Pierre de Bérulle et les carmélites de France : la querelle du gouvernement (1583-1629). Paris : Editions du Cerf.

 

Notes

1 Sur cette question du travail de mise en conformité de la vie de Mme Acarie par Duval, voir Houdard (2008), en particulier le chapitre II « Les “manières étrangères” : l’épreuve de la rencontre ».

2 Louise de Jésus est née Louise Gallois le 19 novembre 1569 à Paris. À 20 ans, elle épouse Guillaume Jourdain avec qui elle a quatre enfants. Veuve à 28 ou 29 ans, elle ressent l’appel de Dieu auquel elle résiste au moins deux ans pour pouvoir s’occuper de ses enfants. Elle se place sous la direction du père Pacifique, rejoint une assemblée de filles dévotes réunies à Paris et songe un temps à devenir capucine. Après avoir lu les œuvres de Thérèse d’Avila nouvellement traduites et imprimées, elle reçoit sa vocation de « thérésienne ». Grâce à son confesseur, elle entre alors en relation avec Mme Acarie qui s’est engagée à installer le Carmel thérésien en France. Elle rejoint la petite congrégation Sainte Geneviève dont elle accepte, tant bien que mal, de prendre la direction avant de partir, en septembre 1603, pour l’Espagne quérir des carmélites espagnoles proches de Thérèse d’Avila aux côtés de Jean de Brétigny puis Bérulle. Dès son retour à Paris en octobre 1604, elle prend l’habit et seconde la mère Anne de Jésus dans ses premières fondations françaises. Elle prononce ses vœux le 19 ou 20 novembre 1605 à Pontoise puis part pour Dijon, où elle devient en 1607 la première prieure française. Par la suite, elle fonde les monastères de Chalon-sur-Saône (1610), Dôle (1614) et Besançon (1616) et meurt à Dôle le 29 février 1628.

3 Le corpus est donc constitué de trois textes, par ordre chronologique :

  • Louise de Jésus (Jourdain) (1620). Le Voyage d’Espagne écrit de la main de la vénérable Mère Louise de Jésus, morte en odeur de sainteté dans notre monastère des carmélites de Dôle , publié dans 5 numéros de la revue Carmel, de 1960/2 à 1961/2.

  • Thérèse de Jésus (Béreur), La Vie de la vénérable Mère Louise de Jésus, religieuse de l’ordre de Notre Dame du mont Carmel selon la réforme de Ste Thérèse, escrite par une religieuse du mesme ordre par le commandement de ses supérieurs, (composée entre 1628 et 1657), manuscrit du XVIIe siècle conservé au Carmel de Flavignerot.

  • L’ « Abrégé de la vie de la vénérable mère Louise de Jésus », dans les Fondations des Carmélites réformées de France, en particulier du premier couvent de Paris (1764 env.), tome 4, « Dôle », 88-162, manuscrits consultés au carmel de Pontoise.

Afin d’en rendre plus aisée la lecture, nous indiquerons l’origine des citations de ces textes dans le corps de l’article, réservant les notes de fin aux sources secondaires.

4 Il ne s’agira donc pas d’établir un état des lieux des biographies spirituelles du XVIIe siècle (nous renvoyons pour cela aux travaux de Marie-Elisabeth Henneau, Jacques Le Brun, Isabelle Poutrin et beaucoup d’autres), ni même de distinguer l’écriture carmélitaine des autres écritures religieuses ou profanes de ce premier XVIIe siècle mais seulement d’étudier un corpus manuscrit afin d’observer les mécanismes d’écriture mis en place. Ces textes, pour être délaissés par les études littéraires, ne déméritent pourtant pas par leur discrétion et il est possible qu’on aille un peu vite en écrivant, comme c’est régulièrement le cas, que ces textes échappent à toute censure si l’on prend en considération les procédés d’autocensure et de corrections pratiqués par les différentes religieuses susceptibles d’avoir ces textes en main.

5 Sur ce point, nous renvoyons aux écrits de Le Brun, notamment Le Brun (2013).

6 Nous reprenons le terme à Marin (1999, p.139). Il nous paraît en effet important d’insister sur cette transmission orale qui semble avoir la préférence des carmélites : l’écrit paraît souvent secondaire et objet de débats.

7 On pourrait penser aux pages que François de Sales écrit aux époux dans sa volonté de diffuser un modèle de dévotion civile (voir L’Introduction à la vie dévote, partie III, chapitre 38). Mais il s’agit ici d’un texte avant tout destiné à des religieuses : plutôt que d’encourager ou confirmer une dévotion dans le monde, il viserait probablement davantage à rassurer les vocations tardives et à proposer un autre modèle de perfection que celui de la religieuse experte en dévotion dès le berceau.

8 Si l’ordre du Carmel se place sous la protection de la Vierge (point qui fait dire à Louise qu’il serait indécent qu’elle soit la première à y entrer), le motif de la maternité y tient une place très importante.

9 Pour le dire très rapidement, les tensions internes au carmel à l’époque peuvent se situer sur deux plans : spirituellement, le carmel français est tiraillé entre l’héritage des mystiques nordiques ou rhéno-flamandes et la spiritualité espagnole ; institutionnellement, la Ligue et les guerres de religion ayant compliqué la relation d’Henri IV avec l’Espagne, celui-ci accepte la venue des carmélites mais refuse la venue des carmes, les carmélites sont donc placées sous la direction de trois prêtres (Gallemant, Duval, et Bérulle). En 1611, les carmes s’installent à Paris et la question se pose alors pour les carmélites de conserver les directeurs fixés par la bulle de fondation ou de se placer sous la direction des carmes. Au milieu de ces querelles, on observe une crispation autour des textes fondateurs de Thérèse que les carmélites espagnoles souhaitent respecter scrupuleusement alors qu’ils sont régulièrement relus voire modifiés au gré des circonstances. Sur le premier point, nous renvoyons à l’étude de Orcibal (1959) ou plus récemment à Houdard (2008). Sur les tensions plus institutionnelles, voir Morgain (1995).

10 André Duval, par exemple, explique dès l’avis au lecteur de sa Vie admirable de soeur Marie de l’Incarnation : « Lesquels me voudront blasmer de ce que je la qualifie souvent du nom de bien-heureuse, & quelquesfois de saincte mais je les advertis que je n’use de ce mot, sinon pour monstrer sa mémoire estre bien-heureuse dans le public, qu’elle a vescu heureusement, & est morte de mesme, & qu’apres sa mort Dieu a donné des tesmoignages fort évidens de sa beatitude, n’entendant pas que pour cela on la tienne saincte ou beatifiée, ny qu’on la prie publiquement en l’Église. Je sçay bien qu’en telles affaires la declaration du Pape doit necessairement intervenir, & que ce seroit temerité & mesme sacrilege de le faire auparavant : mais puisque l’Escriture appelle bienheureux les pauvres d’affection, ceux qui pleurent en terre, qui sont persecutez pour la justice, & finalement ceux qui meurent au Seigneur ; cette ame saincte ayant reluy en toutes ces vertus jusques au dernier periode de sa vie, je ne puis estre repris de parler le langage de l’Escriture. » Le manuscrit de la Vie de Louise de Jésus par Thérèse de Jésus précise également : « Au reste ceux qui liront cette histoire seront advertis, que nous ne donnons la qualité de Bienheureuse à nostre Venerable Soeur Marie de l'Incarnation, sinon conformément à la voix du peuple, et nonpas qu'elle soit canonisée ou Béatifiée par le Saint-Siege : comme aussi que nous ne pretendons d'eux en ce narré autre foy qu'une foy humaine, telle neanmoins que la charité chrestienne demande estre adioustée à personnes qui aimeroient mieux mourir que mentir. » Le texte du Voyage en Espagne ne précise rien de tel.

11 Louise de Jésus, « Lettre à Bérulle », publiée dans la revue Carmel, 1961/2, p. 152-153.

 

* Biographie 

Sandra Carabin enseigne les lettres modernes dans le secondaire tout en préparant une thèse consacrée à l’écriture des premières carmélites françaises au début du XVIIe siècle à l’université Paul-Valéry Montpellier 3. Le choix d’un tel corpus permet l’étude de textes manuscrits, écrits par et pour des religieuses : il s’agit d’interroger ce que ces textes ont à révéler des modes d’expression dont disposaient ces femmes pour dire une relation à Dieu, de la construction d’un espace permettant une relative liberté de parole à la transmission d’un esprit primitif de l’ordre qui doit pouvoir trouver les mots pour se dire.

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Des sources aux cases

Flavio Paredes Cruz

La bande dessinée européenne est riche en représentations des peuples, civilisations et territoires amérindiens de l’Amérique latine. À partir des années 30, cette production manifeste un souci de documentation mobilisé par l’exotisme, le passé mythique de la région ou l’intérêt ethnographique. Des auteurs se sont plongés dans des carnets de voyage, des chroniques d’exploration, des gravures, des photographies, ou encore des objets archéologiques pour donner une certaine véracité à leurs récits, même si les imaginaires hérités ont continué à nourrir...

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