Actes n°6 / Doctorales 58 : Scripta manent. Sources, traces, témoignages : la question de la transmission

Le statut de la "biographie" et le traitement des documents historiques comme éléments de transmission

Virginie Lecorchey
Le statut de la "biographie" et le traitement des documents...

Résumé

Dans le domaine de la biographie, il s’avère qu’après le choix du personnage, l’auteur est confronté à une étape essentielle : le choix et traitement des sources. Le biographe doit se montrer à la fois détaché de son sujet, tout en faisant preuve d’empathie vis-à-vis de ce dernier et embrasser la complexité de son personnage pour transmettre et témoigner d’une époque, d’une figure ou d’un événement. Le biographe doit se montrer objectif dans le choix et dans l’étude des documents et des sources dont il dispose. Le biographe endosse alors un rôle multiple : il est à la fois historien, scientifique, chercheur, psychologue et écrivain. Et il se doit de vérifier chaque source, d’étudier la véracité de chaque document auquel il a accès tout en restant impartial dans son jugement. Le biographe opère ainsi la construction littéraire d’un récit qui permet de faire de la biographie un récit à la fois historique, scientifique et littéraire.

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Le statut de la « biographie » et le traitement des documents historiques comme éléments de transmission

Virginie Lecorchey*

 

La notion de témoignage inclut nécessairement la méthode de traitement des sources, l’historicité des documents, le problème de la véracité des faits. Comment transmettre et pourquoi témoigner sont deux pôles imbriqués. Comment utiliser les sources se révèle être un problème épineux qui a longtemps fait débat.

En écrivant sur certaines figures de l’Histoire, Stefan Zweig, auteur autrichien de la première moitié du 20ème siècle, s’est nécessairement confronté au problème du traitement des sources et du respect de la vérité historique. Certaines œuvres ont une visée avant tout historico-romanesque, d’autres ont pour but d’expliquer le présent en mettant le passé sous une lumière nouvelle. Il existe ainsi des différences entre les biographies écrites par Zweig, selon les personnages dont il est question. Nous prendrons comme exemples les biographies de deux reines, Marie-Antoinette et Marie Stuart, et les récits de vie à visée symbolique, notamment Erasme ou encore Castellion. Chacune de ces œuvres est respectueuse de la vérité et soucieuse de dévoiler l’âme humaine au lecteur. Nous allons voir dans quelle mesure Stefan Zweig se révèle précurseur de la biographie moderne et de quelle manière l’écrivain-historien se fait le médiateur entre les sources et le récepteur.

Jan Romein (1948, p.63) définit la biographie moderne ainsi : « Parmi les caractéristiques les plus importantes de la biographie moderne, nous en distinguons trois : 1. Le détachement du biographe, 2. sa capacité psychologique à faire preuve d’empathie, 3. la structure complexe de l’image morale »1. Impartialité, véracité, analyse psychologique et complexité de l’âme sont les thèmes centraux, les points-clés sur lesquels s’accordent les chercheurs pour définir la biographie moderne. Romein tend donc un parallèle entre le collectif et l’individuel, ce qui est un aspect moderne de la biographie, et Zweig, quant à lui, tisse une toile ou s’imbrique esprit individuel et esprit collectif. 

Entre ces points cruciaux de la biographie dite « moderne » et les biographies littéraires de Zweig, la concordance est entière. Comprendre le héros, comprendre la complexité de l’être, mais aussi mieux comprendre l’âme humaine en général afin d’éclairer le présent et pourquoi pas le futur : « […] la biographie est non seulement importante pour la compréhension du passé, mais aussi pour la constitution de l’avenir »2 (Romein, 1948, p.13). Concernant cet aspect, Erasme et Castellion jouent un rôle prépondérant. Il est alors possible de défendre la biographie comme moyen d’expliquer le passé pour mieux comprendre l’époque dans laquelle nous vivons. Elle joue donc en partie un rôle didactique. 

Les biographies de Zweig semblent, avec une certaine modernité, suivre le schéma détaillé par Romein, notamment avec une articulation autour de la notion de psychologie : le personnage, sa personne, son destin, autant de mystères et de zones d’ombres à éclaircir, à expliquer et à détailler. La biographie moderne inclut les récits biographiques de Zweig ; elle ne contente pas de faire l’étalage de dates et de faits, mais elle souhaite avoir une portée heuristique dans l’analyse de l’être, du moi . Le projet biographique, bien que moderne et avec des ambitions nouvelles, reste cependant une entreprise parfois périlleuse car les témoignages peuvent être subjectifs. Ainsi, restituer la substance de la vie d’un personnage, tout en suivant le fil de son existence et en interprétant ses choix, repose sur un certain nombre de paradoxes et de difficultés, résidant en partie dans l’art et la manière de lier histoire et poésie, mais aussi dans l’articulation des liens entre objectivité et subjectivité, et enfin dans choix des sources soumis au problème d’authenticité.

La méthode employée par le biographe – méthode qui relève d’une certaine scientificité – est un point essentiel dans l’analyse d’un ouvrage biographique et la question centrale est de savoir ce que la biographie apporte dans la recherche historique. Quelles sont les intentions du biographe ? Comment se situe ce dernier ? Comment transforme-t-il son matériau  ? Et comment fonctionne l’intertextualité ? Autant de question qui sont en lien étroit avec la thématique ‘histoire et processus d’écriture’, mais aussi avec la dimension psycho-analytique que Zweig porte à ses personnages.

 

1. Histoire et poésie

Dans son essai Historie und Dichtung, Emil Ludwig, écrivain et journaliste, contemporain de Zweig, essaie de définir quelles sont les intentions de l’artiste-biographe et en quoi son travail est légitime. Il part d’un postulat : historiens et artistes sont en opposition quant à la manière d’écrire l’Histoire. D’emblée, il pose ce combat entre les deux comme invalide. Le travail de l’historien, comme celui de l’artiste, court les mêmes dangers et est soumis aux mêmes écueils : « Le talent poétique met l’historien en danger aussi facilement qu’il peut le stimuler ; cela reste toujours une question de mélange proportionnel, de discipline et de véracité, et donc aussi une question morale, à savoir jusqu’où l’artiste se laisse séduire lorsqu’il travaille en tant qu’historien »3 (Ludwig, 1929, p.2).

L’historien et l’artiste sont tous deux soucieux de respecter les faits, et le travail de l’artiste est tout aussi légitime que celui de l’historien, même si chacun a ses propres intentions et ses propres méthodes pour écrire sur l’Histoire. Le danger de se perdre dans les détails est souligné par Ludwig, et ce danger existe pour les chercheurs comme pour les écrivains. Le choix des sources est épineux : « […] lire des sources est un art qui ne peut s’enseigner et pas une science qui s’apprend »4  (Ludwig, 1929, p.8). Pourquoi l’historien serait-il plus apte à choisir ses sources que l’artiste ? Ce choix est forcément subjectif, même si chacun est à la recherche d’impartialité et d’objectivité dans le récit des événements. Il ne s’agit pas d’être un spécialiste pour être autorisé à écrire sur un sujet. L’homme politique n’est pas le seul à pouvoir écrire sur la politique, l’économiste n’est pas le seul apte à écrire sur l’économie, ... Ce qu’il faut, c’est connaître son sujet, avoir choisi des sources dignes d’intérêt, mais aussi être proche de son sujet.

Ludwig induit ainsi la notion d’empathie. Il faut comprendre les événements, mais aussi comprendre le personnage et son âme afin de concevoir une œuvre qui puisse éclairer le lecteur et de traiter au mieux les sources. Les historiens de l’ancienne école revendiquent avant tout l’objectivité ; ceux de la nouvelle école revendiquent la notion d’« intuition »5 (Ludwig, 1929, p.10). Si nous avons vu précédemment le lien entre Histoire et art, Ludwig va plus loin cette fois-ci en énonçant que la biographie est un troisième genre, entre histoire et poésie.

« Le chercheur trouve, le romancier invente, le biographe ressent »6 ​​​p.10). Cette phrase résume clairement les intentions de chacun et met en avant la légitimité du biographe qui souhaite apporter un éclairage nouveau sur un personnage historique en s’intéressant à ce que ce dernier a pu vivre et ressentir. En lisant les écrits de Zweig et en s’intéressant à ses recherches de matériaux, il s’avère que le travail du biographe recoupe aussi celui du chercheur, en ajoutant au matériau brut une analyse humaine. Une figure historique n’est pas seulement un être ayant agi sur l’Histoire ou ayant subi le cours des événements, c’est avant tout un être humain doté d’un caractère, de sentiments et il est impossible de dissocier l’âme des événements. 

Revenons à présent à la méthode et au choix des sources. Ludwig les classe en différentes catégories : images, conversations, lettres, journaux intimes. Concernant le premier type de documents, Ludwig s’appuie sur la peinture qu’il qualifie d’infaillible et qu’il décrit comme étant une source inestimable pour le psychologue7 (Ludwig, 1929, ​​​​p.13). Un visage permet de cerner le caractère d’un homme. De plus, la manière de peindre d’une époque donne aussi des informations sur la période de l’histoire traitée. Un tableau permet de déceler les traits caractéristiques d’une âme. 

Ensuite, les conversations : dans la retranscription de celles-ci, c’est la nature humaine qui se dévoile (Ludwig, 1929, ​​​​p.13)8. Travail difficile pour le biographe que de trier et de choisir les conversations qui ne sont pas ‘vraies’ : il s’agit d’éliminer ce qui relève de l’éloge de soi, ce qui ne sonne pas vrai, ce qui a été falsifié. Le biographe se doit d’être rigoureux, de sélectionner des documents authentiques et de rester objectif. En énonçant cela, Ludwig insiste sur la véracité des documents utilisés par le biographe et légitime ainsi son travail. 

Les lettres et correspondances constituent un troisième type de documents. Il faut savoir les interpréter, les choisir et les utiliser à bon escient ; ce procédé ne s’apprend pas, et c’est ce qui fera de l’œuvre du biographe une ‘‘bonne biographie’’ (Ludwig, 1929, ​​​​p.13-14)9. Le biographe doit connaître son domaine, avoir acquis une certaine expérience, plus particulièrement en ce qui concerne la psychologie. 

Enfin, Ludwig s’intéresse à un dernier type de sources essentielles : les journaux intimes, même si cette source n’est pas sans danger. Il ne faut pas se laisser charmer, il ne faut pas se laisser détourner par la subjectivité de ce type de documents. En effet, le biographe doit alors se poser quelques questions : Pourquoi certaines choses sont-elles tues ? Qu’est-ce qui est tu ? Pourquoi certains silences, parfois pendant de longues périodes ? Ainsi, le biographe dispose de nombreuses sources, mais il doit savoir faire la part des choses.  Il doit savoir faire des choix, et prendre aussi en compte des paramètres tels que l’âge de son personnage au moment de certaines actions, de certaines pensées, de certaines aspirations. C’est ce que fait Zweig dans Marie-Antoinette une fois qu’il explique la frivolité de la reine par son jeune âge ; en revanche, il se montre moins indulgent quand elle est devenue femme, plus particulièrement après la naissance de ses enfants. Le fait de s’intéresser aux correspondances et aux journaux intimes est également important car ce n’est pas que la vie publique, mais aussi la vie privée qui doivent être étudiées et analysées. Les deux doivent être traitées sur le même plan, c’est selon Zweig le « secret de la biographie moderne »10 (Ludwig, 1929, ​​​​p.16).

Ainsi, le dramaturge se trouve très bien placé pour narrer la vie d’un personnage historique car il sait percer les caractères. Le biographe fait preuve de psychologie, mais aussi d’empathie : « Afin d’écrire au mieux l’histoire d’une âme, l’auteur doit avoir vécu passionnément avec son héros »11 (Ludwig, 1929, ​​​​p.16). Les mouvements de l’âme sont encore une fois au centre du travail du biographe et constituent une des composantes essentielles qui permettent de comprendre l’homme ; se montrer psychologue dans le traitement des sources est une donnée essentielle. Le biographe doit procéder de manière psycho-analytique, comprendre ce qui anime l’âme et utiliser les documents à sa disposition afin de donner une image précise, sensible et humaine du personnage qu’il met au centre de son œuvre. L’essai d’Emil Ludwig apporte un éclairage non négligeable sur le travail des artistes des années 1920 qui ont choisi d’écrire sur des figures de l’Histoire. En énonçant une argumentation claire et construite, il explique en quoi une ‘‘biographie littéraire’’ est une œuvre aussi exacte qu’un essai rédigé par un historien ; et surtout, il amène le lecteur à comprendre les intentions de l’artiste et les techniques que ce dernier utilise pour manipuler ses sources et jouer son rôle de médiateur. Pour Zweig, le côté historique a toute son importance, mais c’est le personnage historique en tant que tel qui est au centre (Larcati, A., Renoldner, K., Wörgötter, M., 2018 ; Strigl, 1932)12.

Toutefois, il ne faut pas oublier la portée heuristique de ce type d’ouvrages. Si les critères de définition des textes biographiques sont nombreux, les angles d’approche le sont également. Le biographie a un regard transversal, une vision panoramique de son sujet, et pourtant Zweig s’intéresse davantage au détail. Il y a une nécessaire distorsion entre les événements et leur rapport au temps, ce qui est cependant justifié dans certaines biographies de Zweig, notamment celle de Marie Stuart de Marie-Antoinette, où l’auteur explique qu’il n’y a rien d’étonnant au fait que des décennies puissent occuper un petit volume de pages, et quelques jours être racontés et décrits sur plusieurs chapitres. Le biographe est alors artiste et « il n’a qu’à s’efforcer de mettre en relief […] cette courbe vitale » (Zweig, 1935, p.18). Portrait clinique, analyse d’une vie, étude des mouvements de l’âme et des motivations intérieures, tous ces aspects participent au processus de création embrassé par Zweig. « C’est en romancier qu’il décrit les [personnages] et les fait vivre, leur restituant cette dimension de vérité intime dont l’histoire qui se fonde sur les seuls faits ne saurait complètement rendre compte » (Zweig, 1935, p.9). Zweig endosse à la fois, dans son travail de biographe, le rôle de chercheur et celui d’artiste.

 

2. Méthodes et techniques

Intéressons-nous à présent au côté purement formel, à la manière de rédiger une biographie. Dans les biographies des deux reines, Zweig adopte une attitude initialement impartiale. C’est un intérêt surgi inopinément qui l’amène à s’intéresser à ces deux figures féminines. Il ne s’agit pas d’être historien, ni expert de la Révolution française ou de la royauté britannique pour être autorisé à écrire sur ces sujets. Ce n’est pas une affaire d’érudition ; ce qui prime, c’est la liberté de l’esprit. Et le fait de n’être justement pas un connaisseur chevronné de ces domaines a une influence positive sur deux points. D’une part, Zweig mène des recherches précises, minutieuses, ne néglige aucun document, aucune source, afin de ne pas commettre d’erreurs. D’autre part, une certaine fraîcheur dans le traitement des sujets existe ; c’est une des qualités de ces deux biographies, et cela permet à Zweig de traiter le sujet avec finesse et psychologie et d’expliquer le destin de ces deux reines comme il le fait pour les personnages de ses nouvelles. 

« La personne décrite ne doit pas […] seulement être ‘un’ individu, mais une personnalité, elle doit avoir accompli quelque chose de significatif sur terre et laissé des traces derrière elle »13 (Romein, 1948, p.108). Cette condition posée par Romein à toute bonne biographie est entièrement respectée par Zweig. Romein ajoute une seconde condition : « La deuxième condition nécessite un traitement adéquat du sujet »14 (Romein, 1948, p.109). Dans Marie-Antoinette et Marie Stuart, Zweig s’intéresse à la femme, en tant que reine, en tant qu’être humain, en tant qu’être passionné, et ce traitement correspond à l’analyse psychologique. La politique joue un rôle, inévitablement, mais ce n’est pas l’essentiel, il suffit de regarder ce dont Marie-Antoinette était capable et de son désintérêt total pour les affaires de l’Etat et envers le peuple pour en être convaincu. Mais le destin de ces deux reines illustre le côté impitoyable de la politique que Zweig a en aversion. 

Zweig opère une reconstruction historique et dresse simultanément un portait essentiellement psychologique. Pensons, par exemple, au chapitre « Secret d’alcôve » dans lequel il explique que le manque de confiance en soi de Louis XVI et son incapacité à agir sont dus à son impuissance sexuelle qui a marqué la première partie de sa vie. De même, cette union entre Marie-Antoinette et Louis XVI, encore chaste bien des années après leur mariage, expliquerait selon Zweig l’inconstance de la reine et son besoin d’amusement : 

Il n’est donc pas nécessaire d’être neurologue pour affirmer que son funeste énervement, son éternelle agitation, sa constante insatisfaction, sa course effrénée aux plaisirs, sont les conséquences typiques d’une perpétuelle excitation sexuelle inassouvie. Parce qu’elle n’a jamais été émue et apaisée au plus profond d’elle-même, cette femme, inconquise encore après sept ans de mariage, a toujours besoin de mouvement et de bruit autour d’elle. Ce qui au début n’était que joyeux enfantillage est peu à peu devenu une soif de plaisirs, nerveuse et maladive […] 15 (Zweig, 2011a, p.41-42).

Certes, nous pourrions ici souligner que l’analyse freudienne de la vie de la reine est assez caricaturale. Toutefois, il me semble que Zweig fait preuve d’audace dans cette analyse qui a choqué une partie de son public à l’époque, et je pense que cette présentation de la reine, bien qu’assez schématique, revêt également une profondeur et expose un portrait incontournable de la reine, Zweig se distinguant ainsi des écrits sur la reine parus auparavant, qui soit la diabolisaient, soit la divinisaient. Zweig se détache des enjeux historiographiques ; il ne veut ni accuser, ni délivrer Marie-Antoinette. Le corps de la reine joue un rôle lui aussi. La scientificité de cette analyse ne relève plus de la recherche en tant que telle, mais de l’analyse (thérapeutique ?) d’une femme et de son corps, corps qui a son importance non seulement chez Zweig, mais aussi les Goncourt ou d’autres biographes. Le corps de femme qui apparemment n’éveille pas l’intérêt du roi,  le corps accusé d’inceste, le corps soupçonné d’infidélité, le corps condamné à mort et conduit à l’échafaud… L’interprétation freudienne de Zweig est posée assez rapidement et de façon relativement schématique, et pourtant elle englobe une notion de féminité et de sexualité qui a inévitablement un lien avec le pouvoir. Zweig donne au corps de Marie-Antoinette une dimension historique. Nous pouvons ici citer les propos de Cécile Berly (2005) dans son analyse sur les corps de la reine et les enjeux biographiques et historiographiques : 

La nature de l’écriture du corps de la reine propose une image et une mémoire biographiques de Marie-Antoinette mais impose aussi (surtout peut-être) une relecture de la Révolution française auprès du grand public. Le corps de la reine entretient les passions entre les partisans de Marie-Antoinette et ceux de la Révolution, et s’impose comme un réel enjeu historiographique entre les écritures de la « petite » histoire et de l’Histoire.

Au-delà de cet épisode interprété selon la méthode freudienne, Zweig montre durant tout le récit les forces de l’inconscient et tente de comprendre la reine. Cette capacité à comprendre l’autre, à se mettre à sa place, à expliquer ce qu’il a ressenti à certains moments, lors de certains événements de sa vie, est une qualité nécessaire de l’auteur qui doit cependant veiller à rester objectif dans l’analyse et ne pas opérer de distorsion de la vérité. Zweig donne l’impression de vouloir tout connaître de son héros, de vouloir avoir accès à tout ce qui peut composer la personnalité de ce dernier, à sa psychologie toute entière. La relation du biographe à son personnage est essentielle dans l’analyse des œuvres de Zweig. Incompréhension, antipathie, empathie, miroir de l’auteur, autant de points à ne pas négliger. Comme dans le genre autobiographique, c’est une sorte de contrat qui est scellé : « Il semble nécessaire que le biographe puisse conclure une sorte de contrat avec l’objet de son étude » (Lhermitte, 2002). Ce contrat existe dans les biographies de Zweig.

 

3. Le travail de l’historien

La situation entre le métier d’historien et celui d’écrivain n’est pas toujours facile à assumer. Certains écrivains deviennent historiens « par hasard » (Jaeghere, 2015, p.1), à l’instar de Jean Tulard16 ; pour d’autres, c’est d’abord le métier d’historien qui les mène ensuite à celui d’écrivain. Jean Tulard définit le rôle de l’écrivain de l’histoire comme celui d’un « détective » (Jaeghere, 2015, p.1). Il s’agit de mener une enquête. A ce travail de détective s’ajoute le devoir d’impartialité dont nous avons parlé également auparavant : « […] je ne tranche pas, je m’efforce d’être équitable en instruisant à charge et à décharge » (Jaeghere, 2015, p.2) ; Zweig, lui, se qualifie dans Marie Stuart d’« historien impartial »17 (Zweig, 2011c, p.190). Le parallèle avec l’enquête va plus loin, en intégrant la dimension du « juge d’instruction » (Jaeghere, 2015, p.2). Cependant, l’historien, ou l’écrivain-historien, doit donner des conclusions : son travail a pour but d’éclairer les lecteurs, mais aussi de donner implicitement une direction et d’amener le lecteur à des conclusions qui sont les siennes. Ainsi, si le récit est en lui-même objectif, c’est-à-dire qu’il exclut l’introduction d’éléments fictifs ou romanesques, il n’en demeure pas moins un récit dépendant de son auteur, lequel a des intentions, et chaque récit, même en s’attachant aux mêmes épisodes, ne pourra aboutir aux mêmes analyses et interprétations à partir du moment où l’auteur est différent, mais également du fait que l’époque dans laquelle il vit est différente. Ne rien avancer sans preuve reste le mot d’ordre, le fil d’Ariane à suivre, sans en déroger, pour livrer un récit authentique. Dépouiller les archives et ne rien introduire de plus. Prendre soin de différencier faits historiques et interprétations psychologiques. Emettre des hypothèses, bien entendu, mais toujours en laissant la question ouverte. L’auteur suppose, ouvre la critique, comprend, sans anachronisme, évalue la fiabilité des sources. 

Des anecdotes avérées pourraient-elles nuire à la biographie ? Ou bien révèlent-elles au contraire l’aspect plus humain du personnage dont il est question ? Il semble que les anecdotes soient nécessaires afin de rendre le récit non seulement plus vivant, mais aussi plus vrai, pour en révéler l’authenticité. Créer un récit vrai, en ce sens qu’un être humain ne vit pas que dans la sphère politique ou historique, il n’est pas qu’un membre d’une société donnée ; le collectif a son importance, mais l’individu encore plus. Et ces anecdotes, d’un ordre plus privé que des événements historiques, font partie intégrante de la vie personnelle du personnage. Un seul mot d’ordre : les anecdotes doivent être authentiques ; c’est peut-être une tâche fastidieuse pour l’auteur, car les rumeurs doivent être analysées, il faut recouper les sources, faire preuve de discernement. Mais c’est un point sur lequel Zweig a toujours insisté. Utiliser des documents authentiques, de quelque ordre qu’il soit : 

[...] dans un ouvrage biographique, j’utilise d’abord toutes les particularités documentaires qui sont à ma disposition ; pour une biographie comme "Marie-Antoinette", j’ai réellement vérifié chaque facture pour établir le compte des dépenses personnelles de la reine, j’ai étudié tous les journaux et tous les pamphlets de l’époque, épluché toutes les pièces du procès, de la première à la dernière ligne 18 (Zweig, 2011d, p.375-376).

Rumeurs, pamphlets, comptabilité, articles de presse, documents judiciaires. Rien n’est écarté. Le personnage doit être pris en compte dans son ensemble.

Mais quel est le statut du personnage biographique ? C’est un personnage réel, dont l’existence est attestée, mais en même temps, il devient personnage littéraire à partir du moment où un auteur écrit sa vie. Le personnage est donc historique, mais aussi une création de l’écrivain. L’auteur-biographe doit ainsi construire non seulement un personnage, mais organiser son récit, en révélant l’identité de la personne en question. D’où l’intérêt de l’analyse psychologique à laquelle se livre Zweig.

Cependant, il faut ne pas prendre de liberté quant à la véracité des événements et respecter ses sources. Une sorte de pacte biographique19. L’auteur doit se montrer rigoureux et respecter la réalité historique. Le personnage biographique est le héros, mais pas le héros d’une fiction. Le héros d’un récit, mais pas d’un roman. La limite entre les deux peut cependant devenir floue, et seul l’auteur peut être le garant de la conservation de cette frontière. C’est toute la problématique du récit biographique en tant que source témoignant de l’Histoire. 

L’émergence de la psychanalyse et des théories freudiennes au début du XXème siècle ont pour Zweig une rigueur scientifique qu’il applique à ses récits de vie. Analyser, tant au niveau historique qu’au niveau psychique, ce n’est pas romancer. La notion de fidélité de la représentation commence avant même la rédaction de la biographie, dès le travail de recherche. En premier lieu, sélectionner les événements et les organiser. Mais dès cette première tâche, l’auteur prend des décisions qui lui sont propres, qui tiennent partiellement à lui, qui dépendent de ses choix et de ses intentions. Mais en choisissant certaines perspectives plutôt que d’autre, nous pouvons nous demander si l’image qui sera transmise au lecteur sera celle qui correspondait exactement à la personnalité du personnage ? 

Nous pouvons nous référer à Hippolyte Taine20, philosophe et historien français du 19ème siècle, auquel Zweig consacra sa thèse de doctorat. Selon Taine, chaque fait historique dépend de trois conditions : le milieu, la race et le moment. Ce sont des conditions auxquelles Zweig s’attache, même s’il procède de manière moins stricte. De même que toute biographie intègre ces paramètres dans un récit de vie. Pour Zweig, le milieu peut être assimilé à la société dans laquelle le personnage évolue ; la race tient au statut d’homme ou de femme et à son rôle (artiste, homme de pouvoir, penseur, …) ; le moment correspond à l’époque dans laquelle vit le personnage. Zweig prend ensuite ses distances avec les positions de Taine. D’après Zweig, Taine a sous-estimé l’individualité, aussi bien l’individualité de la personne qui est objet d’étude que celle de la personne qui mène l’étude ; la responsabilité de la volonté n’a que peu de latitude d’après les théories de Taine. En choisissant des axes d’étude différents et en érigeant certains personnages au statut de symboles, Zweig prend le parti opposé de la philosophie de Taine21.

 

Conclusion

La construction des personnages biographiques de Zweig est très travaillée. Nous pourrions parler, dans le travail du biographe, de ‘‘re-construction’’ du personnage biographique. Une personne qui existe, et que le biographe remodèle, tel un sculpteur, en se voulant le proche possible de la réalité et de ce qu’il voit et lit, au plus près de la vérité. En reconstruisant ses personnages, Zweig offre cependant une image - trop ? - parfaite, un enchaînement limpide de la vie du héros, une cohérence peut-être trop évidente pour être vraisemblable. 

Le récit qui comprend le personnage est comme guidé par cette constance. L’image ainsi produite est littéraire, mais trop ‘‘lisse’’ pour être totalement conforme à la réalité […] ; qui en effet, parmi les personnes réelles se vanterait d’une cohérence dans sa vie aussi totale qu’un biographe pourrait en relier facilement tous les éléments et les expliquer par la seule poussée intérieure ?22 (Zweig, 2011c, p.6).

Ce n’est plus tant le problème d’authenticité ou de rigueur scientifique auquel nous sommes confrontés, mais bien plus le problème de la mise en récit d’une vie, un problème donc littéraire et historique à la fois. Mais en même temps, c’est la construction littéraire du récit qui permet de distinguer la biographie du simple exposé historique, du document didactique brut. Le choix des sources et le traitement des documents posent, en littérature, une problématique double : la limite entre personnage littéraire et personnage historique, ainsi que la limite entre histoire et fiction. « […] le mode biographique nous conduit à appréhender l’écriture de l’expression de soi, tout autant que la façon dont la  vie se glisse dans la fiction par l’écriture » (Broqua & Marche, 2010, p.6). La biographie est une forme de témoignage : témoignage d’une vie, d’une histoire, de l’Histoire. Elle revêt une dimension scientifique, mais le lecteur doit avoir à l’esprit que ce  genre d’ouvrage pose nécessairement la question du rapport entre objectivité et subjectivité dans le traitement des sources utilisées par l’auteur.

La méthode biographique et le matériel lié aux sources sont des procédés et des outils qui opèrent dans le cadre d’une démarche sociologique et plaçant au centre de la réflexion différents processus. La méthode biographique permet de penser la construction d’un personnage, la genèse des certains événements ou phénomènes, à travers la reconstruction analytique des dispositions d’un individu, et permet ainsi de saisir le collectif ou le social, voire l’historique, sous sa forme individuelle. Ces étapes et cette méthode sont ensuite soumises à la présentation du biographe et aux conditions pratiques qui relèvent de l’écriture, du traitement des sources, et de la véracité des témoignages. 

La méthode biographique employée par Zweig nous permet de décrire les propriétés qui structurent un individu ainsi que la manière dont ces propriétés constituent l’individu. La notion de témoignage permet ici, en littérature et grâce à la biographie, l’étude de la genèse empirique d’un personnage. Le biographe permet au lecteur d’observer ce personnage dans un autre espace et dans un autre cadre temporel. La biographie littéraire laisse ainsi le champ libre à de multiples investigations, soumises aux témoignages et aux sources à disposition. Les biographies littéraires, grâce au travail du biographe mais aussi grâce aux qualités d’artistes et d’écrivain de ce dernier, proposent, à mon avis, une production de résultats heuristiques, dans différents domaines, qui permettent d’avoir une vision et donc une analyse d’un  homme ou d’une femme qui s’est distingué à un moment précis, sans porter de jugement sur la nature des ses actes, mais tout en liant le collectif et l’individuel et en faisant des sources un outil précieux permettant d’aborder l’Histoire et d’apporter des conclusions qui font avancer l’historiographie et la recherche.

 


Bibliographie

Sources

  • Zweig, S. (2011a [1932]). Marie-Antoinette [trad. de l’allemand Marie Antoinette, Bildnis eines mittleren Charakters par A. Hella]. Paris : Bernard Grasset, Les Cahiers Rouges.
  • --- (2011b [1934]). Erasme. Grandeur et décadence d’une idée [trad. de l’allemand Triumph und Tragik des Erasmus von Rotterdam par A. Hella, H. Bloch, J. Pary et al.]. In : Zweig, S. Essais. Paris : La Pochothèque, vol. III, Collection Le Livre de Poche, 1019-1139
  • --- (2011c [1935]). Marie Stuart [trad. de l’allemand Maria Stuart par A. Hella]. Paris : Bernard Grasset, Les Cahiers Rouges.       
  • --- (2014 [1936]). Conscience contre violence : ou Castellion contre Calvin [trad. de l’allemand Castellio gegen Calvin oder Ein Gewissen gegen die Gewalt par A. Hella]. La Flèche (Sarthe) : Le Livre de Poche, Edition 06.
  • --- (2011d [1942]). Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen [trad. de l’allemand Die Welt von gestern. Erinnerungen eines Europäers]. Espagne : Le Livre de Poche, Edition 1 coffret.

Études

  • Broqua, V., Marche, G. (2010). L’épuisement du biographique ? Cambridge : Cambridge Scholars Publishing. 
  • Larcati, A., Renoldner, K., Wörgötter, M. (2018). Stefan Zweig Handbuch. Berlin-Boston : De Gruyter.
  • Lhermitte, A. (2002). La Biographie – Anthologie. Paris : GF Flammarion. Collection Etonnants Classiques, « La position du biographe face à son personnage ».
  • Ludwig, E. (1929). Historie und Dichtung. Berlin : Ernst Rowohlt Verlag. Sonderdruck aus der « Neuen Rundschau ».
  • Romein, J. (1946). Die Biographie. Einführung in ihre Geschichte und ihre Problematik. Berlin : A. Francke AG. Verlag. Sammlung Dalp.
  • Strigl, D. (2018). Marie Antoinette. Bildnis eines mittleren Charakters (1932). In : Larcati, A., Renoldner, K., Wörgötter, M. (dir). Stefan Zweig Handbuch. Berlin-Boston, De Gruyter, 398-405.

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Notes

1 « Als wichtigste Kennzeichen der modernen Biographie unterscheiden wir deren drei : 1. die Unbefangenheit des Biographen, 2. Sein psychologisches Einfühlungsvermögen, 3. Die komplizierte Struktur des seelischen Bildes » (nous traduisons).

2 « […] die Biographie [ist] nämlich wichtig nicht nur zum Verständnis der Vergangenheit, sondern auch zur Bildung der Zukunft ». 

3 « Das dichterische Talent gefährdet den Historiker so leicht, wie es ihn fördern kann ; immer bleibt es eine Frage der prozentualen Mischung, der Disziplin und Wahrhaftigkeit, also zugleich eine moralische Frage, wie weit sich der Künstler verführen läβt, wenn er als Historiker arbeitet » (nous traduisons).

4 « Freilich ist es eine unlehrbare Kunst und keine lehrbare Wissenschaft, Quellen zu lesen »

5 « Jeder Historiker der alten Schule rühmt sich seiner Objektivität, jeder der neuen bekennt sich zum Vorgefühl ».

6 « Der Forscher findet, der Romancier erfindet, der Biograph empfindet ».

7 « Kein Dokument ist untrüglicher als das Anlitz des Menschen ; man muβ nur darin zu lesen verstehen. […] eine unschätzbare Quelle des Psychologen ».

8 « Hier öffnet sich das Wesen eines Menschen unmittelbarer, es ist fast, als ob man ihn im Selbstgespräch belauscht ; aber ihre Auswahl ist schwierig ».

9 « Den Gesprächen folgen die Briefe, und hier ist die Deutung, Auswahl und Anwendung vollends unerlernbar ; auf Stil- und Weltgefühl, auf Empfindung und Erfahrung, ganz auf Kenntnis des menschlichen Herzens, besonders der Frauen gestellt ».

10 « Das öffentliche und das private, das tätige und das untätige Leben eines bedeutenden Mannes im Gleichschritt, in ihrer steten Koinzidenz  darzustellen, keines von beiden wichtiger zu nehmen als das andere, ist das Geheimnis der modernen Biographie ».

11 « Um so die Geschichte einer Seele zu schreiben, muβ der Autor mit seinem Helden in Leidenschaft gelebt haben ».

12 Dans l’article de D. Strigl, des notes du Journal de Zweig sont citées ; il s’agit de notes sur sa conception de l’ouvrage biographique qu’il entreprend, dans lesquelles il entend insister non pas sur le côté historique, mais sur le personnage en tant que tel : « M. A. wird voluminös : das Historische muβ daraus wieder zurückgedrängt werden, damit man das Bild im Auge be, préfacehält, die Gestalt. » (p.398). L’utilisation des termes « Bild » et « Gestalt » est à souligner.

13 « Der Beschriebene soll […] nicht nur ‘‘ein’’ Individuum sein, sondern eine Persönlichkeit sein, er muss ferner in der Welt etwas Bedeutendes geleistet und deutliche Spuren hinterlassen haben ».

14 « Die zweite Forderung geht dahin, dass die Behandlung dem Thema adäquat sei ».

15 « So bedarf es keines Nervenarztes, um festzustellen, daβ ihre so verhängnisvolle Überlebendigkeit, dieses ewige Hin und Her und Niezufriedensein, dieses fahrige Jagen von Vergnügung zu Vergnügung, geradezu klinisch-typische Folgen jener ständigen sexuellen Aufreizung und sexuellen Unbefriedigtheit durch ihren Gatten darstellen. Weil nicht im tiefsten bewegt und beruhigt, muβ die nach sieben Ehejahren noch immer nicht eroberte Frau ständig Bewegung und Unruhe um sich haben, und allmählich wird, was anfangs bloβ kindisch muntere Verspieltheit gewesen, zu einer krampfigen, krankhaften […] Vergnügungswut [...]. » (Marie Antoinette. Bildnis eines mittleren Charakters. Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 29. Auflage, 2012, p.41-42).

16 Jean Tulard, né le 22 décembre 1933, est un historien français, spécialiste de Napoléon 1er et de l’époque napoléonienne et de l’histoire du cinéma. Il a publié un ouvrage intitulé Détective de l’HistoireJean Tulard, entretiens avec Yves Bruley, Paris, Ecriture, collection « Entretiens », 2012.

17 « Und so darf der Unbefangene einzig Maria Stuart, welche immer nur die Not und der innerste Druck der Seele zur Dichterin schuf, guten Gewissens als die Verfasserin jener Briefe und Gedichte anerkennen und als sicherste Zeugin ihrer bittersten Stunde anrufen. » (Maria Stuart. Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 2012, p.209).

18 « […] bei einer Biographie wie ‘‘Marie Antoinette’’ habe ich tatsächlich jede einzelne Rechnung nachgeprüft, um ihren persönlichen Verbrauch festzustellen, alle zeitgenössischen Zeitungen und Pamphlete studiert, alle Prozeβakten bis auf die letzte Zeile durchgeackert. » (Die Welt von gestern : Erinnerungen eines Europäers. Berlin und Weimar : Aufbau-Verlag, 1. Auflage, 1981, p.340).

19 Dans la préface de Marie Stuart, Zweig donne certaines indications à son lecteur afin que ce dernier puisse comprendre ses choix narratologiques. Il explique par exemple les distances qu’il prend quant à la chronologie afin de mettre en relief certains moments de vie : « […] toute représentation de Marie Stuart a sa forme et son rythme fixés d’avance […]. Qu’on ne prenne donc pas pour un paradoxe le fait que la période de ses vingt-trois premières années et celle de ses vingt ans ou presque de captivité ne tiennent guère ensemble dans ce livre plus de place que les deux ans de sa tragédie amoureuse. » Zweig noue ainsi implicitement un pacte avec le lecteur en justifiant ses choix.

20 Stefan Zweig soutient sa thèse de philosophie en 1904 ; elle porte sur Hippolyte Taine, historien du déterminisme. Zweig est du même avis que l’historien, concernant le rôle de la ‘Nature’, à savoir qu’un être a des traits qui sont déterminés par son milieu. Cependant, Zweig diverge de la théorie développée par Taine, en ce sens que Zweig insiste davantage sur le rôle de la liberté, de la liberté intérieure, et de la ‘Culture’ : l’individu existe indépendamment du milieu. Eternel débat entre « Nature et Culture », et même entre l’inné et l’acquis. Zweig reste d’avis que le déterminisme joue un rôle, mais la responsabilité individuelle également, la subjectivité fait partie intégrante de l’individu.

21 « In Taines Philosophie, die der Individualität so wenig Spielraum gelassen hat, schrumpft auch die freie Kraft und die Responsabilität des Willens auf ein Minimum zusammen. Der Determinismus, der in seinem System mit seinen dominierenden Gesetzen alles umklammert, umschliesst auch die Moral und ihre Evolutionen ». In : Anthérieu-Yagbasan (2017).

 

Annexe : Présentation de l'auteur

Stefan Zweig, écrivain autrichien de la première moitié du XXe siècle (1881-1942), s’est intéressé à ne nombreux genres littéraires : poésie, nouvelle, essai, biographie, discours, autobiographie, roman… Vivant dans l’Empire Austro-Hongrois, il a voué sa vie à l’art et à la littérature, prônant dès la Première Guerre Mondiale le pacifisme et la culture comme vecteurs de paix et de concorde. Zweig connut le succès dès les années 1900 et commença, au début du XXe siècle à voyager à travers le monde, en Europe, en Inde, en Amérique…

Zweig est connu de nos jours principalement pour ses nouvelles, notamment Le Joueur d’échec, ou Vingt-quatre Heures dans la vie d’une femme, mais aussi pour ses biographies, la plus vendue étant celle sur Marie-Antoinette.

A partir des années 1930, Zweig s’intéresse à l’Histoire et plus particulièrement à certaines grandes figures, créant à sa manière un nouveau type de héros : des héros qui sont des perdants, mais qui lui permettent de véhiculer certains messages de tolérance et de pacifisme, dans une Europe où le fascisme et le nazisme prennent pied. Pendant les années 1930, Zweig plaide pour une Europe unie, une Europe des cultures, et insiste sur le fait que l’Histoire doit être transmise dans une optique humaine et humaniste, et non pas faire l’étalage de guerres, de batailles et de conquêtes. Il quitte définitivement l’Autriche en 1934, voyage et s’installe au Royaume-Uni avec sa seconde épouse. Puis, tous deux émigrent aux Etats-Unis et enfin au Brésil, à Petrópolis. C’est au Brésil qu’il écrit notamment Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen, œuvre à la fois autobiographique et historique. 

Ayant perdu ses illusions et sa foi en l’Europe et en l’humanité, ne voyant pas d’issue possible au nazisme, victime de l’antisémitisme qui l’a contraint à quitter sa patrie, Zweig se suicide avec sa femme Lotte dans la nuit du 22 au 23 février 1942.

 

* Biographie

Virginie Lecorchey, professeure agrégée d’Allemand, docteure en Langues et Littératures étrangères, Université Paris-Est-Créteil, Laboratoire IMAGER – Groupe CAECE.

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